vendredi 16 mai 2008

Chine: une invasion de crapauds ne fait pas un séisme - Pierre Haski

Rue89 - Chinatown, vendredi, 16 mai 2008
Alors que le bilan de la catastrophe du séisme du Sichuan ne cesse de s'alourdir -on parle désormais de 50 000 victimes-, certains se demandent si cette tragédie aurait pu être évitée, ou pire, si le gouvernement chinois a ignoré des informations permettant de prédire le séisme. A première vue, cette dernière accusation semble sans fondements.

Des internautes avaient fait état, dans les commentaires d'un précédent article sur le séisme, de ces rumeurs selon lesquelles un message prédisant le tremblement de terre aurait été mis en ligne cinq jours avant la tragédie, et aurait ensuite été retiré.

L'"information", en fait, proviendrait de la secte Falungong, selon l'excellent blog sur la Chine, Black and White cat. Une source peu digne de foi, et qui a tout intérêt à discréditer le régime chinois.

D'autres informations font un lien entre certains phénomènes inhabituels et le tremblement de terre, et en particulier cette invasion de dizaines de milliers de crapauds (photo ci-dessus) dans la province du Jiangsu, ainsi que l'assèchement brutal et inexpliqué d'un étang dans les jours qui ont précédé le drame du Sichuan.

Là encore, rien de concluant, car comme le relève le blog EastSouthWestNorth, des phénomènes de ce type sont régulièrement signalés sans être suivis de tremblements de terre. Pas assez significatif, en tout cas, pour évacuer des millions de personnes, ce qui aurait été nécessaire pour éviter le coût humain colossal de cette catastrophe.

Le mythe de la prédiction des séismes

Pendant longtemps, la prédiction des séismes faisait partie des mythes de la Chine maoïste, en se fondant sur les phénomènes inhabituels, et en particulier les comportements des animaux. Cela aurait marché en 1975, bien que l'état de l'information en Chine à cette époque rende toute validation de cette information impossible.

Et, surtout, cela n'a pas marché l'année suivante lors du terrible tremblement de terre de Tangshan. Depuis, la Chine est devenue plus modeste, et a rejoint le reste du monde dans le doute.

Car, comme le soulignait dans Libération mardi Michel Granet, directeur de l'Ecole et observatoire des sciences de la Terre (l'EOST, à Strasbourg),

"On n'a pas suffisamment progressé en termes de connaissances des phénomènes qui se produisent juste avant le tremblement de terre. Nous n'avons aucun moyen de prédire un séisme. Il y a certes des phénomènes physiques précurseurs, mais il faudrait d'abord pouvoir les observer dans toutes les zones à risques pour les populations, ce qui suppose d'avoir les instruments adéquats et des moyens humains suffisants.

"Il faudrait ensuite que ces phénomènes sortent suffisamment de la normalité pour pouvoir être détectés. Et il faudrait enfin pouvoir les interpréter.

"On peut travailler sur la prévention. Commencer par faire un zonage sismique des pays. Les inciter à se doter de normes pour minimiser les impacts sur les personnes et les biens, comme les normes parasismiques pour les immeubles. Dire aux gens: 'Vous habitez dans une zone sismique, voilà ce qu'il faut faire en cas de séisme.' "

Ce qui reste sûr, c'est que l'ampleur des destructions montre bien que les constructions en Chine ne sont pas adaptées au risque sismique. Le très officiel China daily, repris jeudi par Les Echos, tire une "amère leçon" du fait que de nombreuses écoles se soient effondrées au Sichuan, expliquant le nombre élevé d'enfants parmi les victimes de la catastrophe. Le quotidien se demande si ces bâtiments ont respecté les règles de construction, et ajoute:

"il est nécessaire de s'engager fermement pour éliminer de tels
facteurs humains qui, en temps normaux, sont sans grande importance mais qui s'avèrent désastreux lors d'une catastrophe."

Et le China daily, dans un bel effort de transparence qui semble être la consigne du Parti dans cette catastrophe, de faire le lien avec les défauts du réseau électrique constatés lors des intempéries du début de l'année, et l'état d'une partie du réseau ferroviaire révélé par une récente collision entre deux trains dans le Shandong.

Wen Jiabao, premier ministre de la compassion

Une du Shenyang Evening News (Danwei.org) Il est incontestable, en tout cas, que le gouvernement a joué la carte d'une large transparence, à la fois nationale et internationale, avec un rôle particulier attribué au premier ministre Wen Jiabao.

Depuis sa nomination en 2002, ce dernier a pris la place qu'occupait autrefois Zhou Enlai, le premier ministre de Mao, comme l'homme proche des préoccupations du peuple, leur voix au sommet de l'Etat et du parti.

On l'a vu réclamer avec force le paiement des arriérés de salaire lors d'une rencontre "impromptue" avec une femme de travailleur migrant spoliée, il a partagé le repas du nouvel an chinois avec des mineurs de charbon, serré la main de malades du sida, et confronté les usagers en colère à Canton lors des intempéries du début de l'année.

Cette fois, casque de protection civile sur la tête, mégaphone à la main, ou larmes aux yeux, il a été au coeur de l'événement qui touche profondément tous les Chinois, montrant l'image, comme nous le soulignions dès mardi, d'un pouvoir certes autoritaire, mais compassionnel.

C'est la clé, aujourd'hui, de la légitimité du régime dans une Chine qui a changé et n'accepterait pas aussi aisément un autoritarisme pur.

Au coeur de la tragédie, cet événement permet également de dépasser les tensions généres par la récente crise du Tibet et du voyage controversé de la flamme olympique.

Les pays étrangers ont été prompts à proposer leur aide, tout comme les entreprises étrangères en Chine, et notamment françaises, soucieuses, elles aussi, de se montrer compassionnelles à l'heure du drame, pour inverser la tendance inquiétante du nationalisme ressurgie dernièrement.

Dans l'opinion mondiale, aussi, l'image d'une Chine agressive et inquiétante est en passe d'être remplacée par une Chine sinistrée qui fait face avec courage et dignité à la tragédie, à l'opposé de la Birmanie frappée par la nature juste avant elle, et qui s'était montrée brutale et indifférente à la douleur de son peuple: ce n'est pas le moindre paradoxe d'une terrible catastrophe survenue dans un monde hypermadiatisé et attentifs à tous les signes. Pas seulement ceux des crapauds.

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