lundi 31 décembre 2007

Cigales et fourmis - Attali Jacques

L'Express, no. 2925 - NewsEconomie, jeudi, 26 juillet 2007, p. 51

Alors que l'Amérique, mère de toutes les cigales, daigne laisser la Chine, mère de toutes les fourmis, lui prêter de quoi boucler ses fins de mois, une nouvelle configuration planétaire se met en place.

Face à un Occident épargnant de moins en moins, important plus qu'il n'exporte et ayant consommé tous les trésors de ses sous-sols, bien d'autres pays, mieux dotés par la nature (comme ceux de l'Opep) ou plus soucieux d'épargner (comme la Chine ou le Japon), ont accumulé des avoirs équivalant au dixième du PIB mondial et qui en deviendra le tiers avec la hausse du prix des matières premières. Confrontées, comme le reste de la planète, à des défis gigantesques (des populations vieillissantes, des infrastructures urbaines dépassées), les fourmis ne placeront plus leurs réserves sous forme de bons du Trésor américains et les confieront à des « fonds souverains » (voir page 48) qui chercheront à acheter les entreprises les plus rentables et à investir dans des equity funds ou des hedge funds.

L'économie mondiale aura beaucoup à y gagner : d'une part, ces fonds souverains auront intérêt à ce que nos économies se portent bien, pour que les cigales puissent continuer à nourrir les fourmis ; d'autre part, ils auront intérêt à une gestion plus honnête des budgets publics. Le gouvernement de São Tomé et Principe vient ainsi de demander à celui de l'Alaska de le conseiller sur la meilleure façon d'administrer ses ressources financières.

Mais les dangers sont immenses. En raison du vieillissement de la population et des énormes besoins d'infrastructures, ces fonds souverains prendront de plus en plus de risques ; ils pourraient même vouloir exercer une influence politique dans les pays où ils investiront, qui pourraient en retour fermer leurs portes. Dès lors, la croissance mondiale ralentirait ; les cigales ne pourraient plus financer leurs déficits ; les fourmis verraient fondre leur patrimoine et rapatrieraient leurs capitaux ; le dollar s'effondrerait, l'économie planétaire plongerait dans la crise. Pour éviter un tel scénario, chacun doit d'abord mettre de l'ordre chez soi : à l'exemple de la Norvège, les cigales doivent devenir un peu fourmis ; à l'exemple du Japon, les fourmis doivent devenir un peu cigales. Il faut que nos budgets deviennent aussi rigoureux que ceux des pays dont nous attendons le financement et les fonds souverains aussi transparents que les entreprises qu'ils veulent acquérir.

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