Le retour de Hong-Kong aura des répercussions immenses sur les politiques intérieures et extérieures de la Chine. À tel point que l'avenir de Hong-Kong même ne constitue qu'une modalité d'enjeux beaucoup plus importants.
Ces répercussions sont d'abord d'ordre symbolique. Les premiers territoires de Hong-Kong furent cédés à l'Angleterre en 1842. Ils symbolisent pour les Chinois l'entrée de leur pays dans l'ère moderne et surtout le début de leur sujétion aux pays occidentaux. L'événement avait à l'époque ébranlé les élites et suscité chez elles des réflexions déchirantes et pessimistes sur l'avenir de la civilisation chinoise. Or, on assiste maintenant à l'émergence du sentiment inverse.
La tradition chinoise entretient une vision cyclique de l'histoire suivant laquelle tout pays passe par des phases de renaissance, d'expansion, de déclin et de mort. Dans cette perpective, la Chine serait en pleine renaissance tandis que les pays occidentaux en général, et les États-Unis en particulier, entreraient dans une période de déclin. La chute du mur de Hong-Kong provoque donc dans l'imaginaire chinois un choc aussi puissant que celui de la destruction du mur de Berlin pour un Occidental.
D'où l'immense sentiment de fierté que ce retour procure aux Chinois du continent et de la diaspora, sentiment qui rejaillit sur le gouvernement de Pékin et raffermit son influence en Chine et en Asie. D'où la perplexité de plusieurs pays asiatiques qui partagent la même conception de l'histoire et entrevoient la fin de la domination américaine en Asie.
Plus concrètement, ce retour marque un changement profond des flux économiques et politiques en Chine. En effet, Hong-Kong s'est développée grâce à la fuite des capitaux de Shanghaï et à l'isolement de la Chine maoïste. Or, la réouverture du pays et la modernisation de plusieurs villes côtières, dont Shanghaï, ont fait perdre à Hong-Kong sa position privilégiée. (À cet égard, la Grande-Bretagne a cédé la colonie au bon moment, non sans signer de lucratifs contrats de plusieurs milliards de dollars dont l'économie anglaise avait bien besoin).
Les taxes et impôts de Hong-Kong devraient aussi permettre au gouvernement central d'élargir considérablement ses revenus. Il est prévisible que Pékin utilisera cet argent pour augmenter ses transferts de fonds aux provinces plus pauvres, ce qui accroîtra son emprise sur elles et amoindrira le poids politique des provinces les plus riches. Mais surtout, le gouvernement central pourra désormais orienter à sa guise les politiques économiques de Hong-Kong et donc renforcer ou réduire les avantages comparatifs dont jouit la ville face aux autres régions chinoises.
Le seul danger que pourrait affronter le gouvernement chinois est celui d'une éventuelle contamination de la culture politique de la Chine intérieure par celle de Hong-Kong. Mais Pékin a indiqué qu'elle continuerait à restreindre l'accès à Hong-Kong, et la situation du reste de la Chine semble sous contrôle. En outre, il faut se souvenir de l'efficacité avec laquelle le Parti communiste chinois a imposé à partir de 1949 son autorité dans les villes et les campagnes chinoises, malgré les chambres de commerce, les guildes, les fonctionnaires de l'ancien régime, les sociétés secrètes, les saboteurs laissé par Chiang Kaï-Shek, etc. La discipline du Parti, son expérience et l'armée sont les meilleurs garants contre une situation politique qui échapperait aux autorités de Pékin.
Par ailleurs, les enjeux internationaux de la rétrocession de Hong-Kong sont clairs. Il s'agit en premier lieu d'influencer favorablement la population de Taïwan afin de désarmer sa méfiance. Plus encore, le succès d'une transition douce de Hong-Kong impressionnerait plusieurs pays asiatiques et les prédisposerait à mieux accepter le leadership de la Chine dans des organisations internationales régionales.
Ensuite, le retour de Hong-Kong doit servir à renforcer l'économie chinoise. Hong-Kong constitue un des accès directs les plus importants au marché chinois et génère près de 15 % du commerce extérieur en Asie. Or, le gouvernement chinois pourra dorénavant consolider son emprise sur les réseaux commerciaux internationaux de la ville, soit par des réglementations, soit par le moyen de conglomérats d'État. Ceci, d'une part, laisse planer une menace sur Taïwan dont le commerce avec la Chine transite presque exclusivement par la colonie, et d'autre part, ouvre la voie à une participation plus active de la Chine dans des échanges régionaux encore dominés par le commerce intra-firmes de grandes multinationales.
Pékin devrait également accélérer les transferts technologies de Hong-Kong vers d'autres villes chinoises, surtout dans les services, ce qui pourrait augmenter les exportations chinoises à haute valeur ajoutée, mais aussi raffermir la compétition entre la Chine et le reste du monde.
Une fois abattu le mur qui protégeait la colonie des aléas du contexte chinois continental, Hong-Kong se retrouvera donc au milieu des tractations politiques entre les diverses autorités de la Chine. La prospérité de la ville dépendra de sa faculté de tirer avantage de ces luttes. Mais c'est dans l'arène internationale que la destruction de l'enclave britannique aura les conséquences les plus importantes. La manière dont le gouvernement chinois parviendra à assurer l'incorporation de Hong-Kong sans heurter les intérêts économiques, politiques et stratégiques des autres acteurs de la région constituera un test crucial de sa capacité d'instaurer en Asie une pax sinica
Loic Tassé - Spécialiste de la Chine et candidat au doctorat en science politique à l'Université du Québec à Montréal
© 1997 Le Devoir. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire