Septembre 2007 - La Chine crée le China Investment Corporation (CIC), un fonds souverain doté de 200 milliards de dollars, pour diversifier le placement de ses 1.650 milliards de dollars de réserves de change. Six mois plus tard, le fonds chinois acquiert 1,6 % de Total... Faut-il voir dans cet activisme des fonds souverains une menace pour nos économies occidentales ?
Notons d'abord que cette situation n'est pas nouvelle. Le débat actuel rappelle celui des années 1970 sur le recyclage des pétrodollars et les risques associés. En 2007, les pays exportateurs de pétrole et de gaz détiennent plus de la moitié des 3.190 milliards de dollars d'avoirs des fonds souverains, un chiffre inquiétant, mais qui ne représente que 8 % de la capitalisation boursière mondiale, l'équivalent de la capitalisation de la place parisienne (1.600 milliards). Le fonds chinois atteint 44 % de la capitalisation boursière d'ExxonMobil.
Une typologie des fonds souverains permet de mieux comprendre les risques implicites. La première catégorie est constituée des fonds souverains occidentaux, comme ceux de la Norvège ou du Canada, qui obéissent à des règles de gestion strictes. Par exemple, le fonds norvégien n'investit jamais plus de 1 % du capital total d'une entreprise.
La deuxième catégorie rassemble les fonds souverains des pays pétroliers du Moyen-Orient, dont l'influence géopolitique reste limitée. Leur stratégie d'investissement répond à une obligation de lissage dans le temps des revenus du pétrole. Ces fonds ont compris qu'ils devaient contribuer à la stabilisation du système financier international, cours du dollar et du pétrole étant inversement corrélés. C'est pour cela qu'ils ont récemment pris des participations pour recapitaliser des banques affectées par la crise des « subprimes ».
La troisième catégorie regroupe les fonds souverains détenus par des pays à volonté hégémonique, telles la Chine et la Russie. Il s'agit pour le premier d'acquérir des savoir-faire ou des technologies (prise de participation dans Blackstone) et pour le second d'accroître ses réserves énergétiques hors de ses frontières. Mais leur puissance d'investissement est tempérée par la protection des intérêts stratégiques occidentaux et par leurs besoins nationaux en infrastructures. Les investissements chinois en infrastructures de transport s'élèvent à 100 milliards d'euros par an (1), soit plus de la moitié du montant du fonds souverain.
La question pertinente n'est pas celle du risque, mais celle de savoir comment travailler avec ces fonds, afin que la France bénéficie pleinement de cette manne financière. Cette coopération doit s'établir à trois niveaux.
Premièrement, les fonds souverains devraient être considérés comme des investisseurs normaux. Actuellement, en France, les fonds souverains investissent dans l'immobilier de luxe, les bons du Trésor (un sixième de la dette négociable de l'Etat est détenue par ces fonds) et dans les entreprises. Le fonds norvégien GPFG est le premier investisseur du CAC 40 avec près de 5 milliards de dollars investis (2).
Deuxièmement, les entreprises françaises devraient profiter des besoins croissants d'investissements des pays détenteurs des fonds souverains. Des structures de coopération devraient être établies avec ces fonds afin de financer les infrastructures dans leurs pays. La France est en effet très bien positionnée pour répondre à ces grands projets, notamment dans les domaines de l'eau, du nucléaire ou du transport.
Troisièmement, les fonds souverains pourraient servir de relais locaux pour des investissements français dans ces pays. Il s'agirait de construire une relation de confiance durable entre les investisseurs français et ces fonds pour partager des stratégies communes d'investissement et certaines pratiques de gouvernance.
La France a tout à gagner à un rapprochement réfléchi avec les fonds souverains détenus par des pays aux forts besoins d'investissements en infrastructures. Toutefois, cela nécessite l'abandon d'une mentalité protectionniste.
La critique actuelle des fonds souverains se fonde sur des motivations parfois peu avouables. D'une part, elle dégage de forts relents post-colonialistes et le refus de voir émerger de nouvelles économies aux dépens de l'Occident. D'autre part, elle est souvent issue de milieux qui refusent toujours l'émergence de fonds de pension en France.
Note(s) :
(1) HEC Eurasia Institute, octobre 2005 (« Chine, le grand embouteillage »).(2) Analyse de Jean Arthuis, président de la commission des Finances du Sénat (RB, février 2008, n°699, p 31).
MICHEL ZARKA et ERIC S. PELLETIER sont partners et MARIE NEMOND consultante chez Oliver Wyman
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