vendredi 9 mai 2008

La province du Yunnan veut devenir le grenier à " énergies vertes " de la Chine - Brice Pedroletti

Le Monde - Sciences, vendredi, 9 mai 2008, p. 8
L'accélération de l'inflation et des pénuries de plus en plus embarrassantes d'énergie ont conduit la Chine à une révision de sa stratégie en matière de développement des agrocarburants : en juillet 2007, l'Agence de planification a lancé un Plan agricole pour les biocarburants, qui prévoit la suspension des projets de bioéthanol à partir de maïs et une réorientation progressive en faveur d'une production à base de plantes sucrières.

Le sud-ouest de la Chine, bénéficiant d'un climat favorable pour ce genre de culture et relativement pauvre et peu peuplé, est en première ligne pour jouer ce rôle. Le Yunnan attend l'approbation par le gouvernement central, en juin, d'un plan imposant l'incorporation de bioéthanol à hauteur de 10 % dans l'essence distribuée dans la province.

" Le but est de faire, d'ici vingt ans, du Yunnan une base des énergies vertes en Chine ", explique, à Kunming, Wu Jun, l'un des officiels de la province en charge de la politique économique. Il prévoit que le Yunnan produira 2 millions de tonnes de bioéthanol en 2010, soit autant que toute la Chine aujourd'hui. Selon lui, d'innombrables surfaces vierges ou en friche peuvent servir ces ambitieux objectifs de production. De même que des importations en provenance du Laos et du Cambodge, où des sociétés chinoises ont des concessions.

Les régions subtropicales du sud du Yunnan, qui ont d'importants dénivelés, permettent, selon l'altitude, la culture du manioc, de la canne à sucre et de la patate douce. En principe, aucune culture alimentaire ne sera mise en danger. " L'agence de planification veut s'assurer qu'il n'y ait pas d'impact sur l'alimentaire, dit Li Shihuang, en charge de l'agriculture pour le comté de Yuangyang, connu pour ses paysages de rizières en terrasse. A certains endroits, on va remplacer le maïs par le manioc, mais le maïs ici est produit en petite quantité, avec une utilisation strictement locale, pour la nourriture des cochons. Or les résidus de manioc peuvent le remplacer. "

" CRÉDITS CARBONE "

Ici, 95 % des habitants sont des paysans. La principale industrie locale est la sucrerie Hongtai, qui fait travailler directement ou indirectement 80 % des gens de Yuangyang, selon M. Li. Ancienne société d'Etat cédée en 2004 à son directeur, Hongtai a sauté le pas en 2006, encouragée par le vice-gouverneur de la province, et a fait installer une unité de bioéthanol. Mais les dettes contractées pour cet investissement ont grevé son bilan, au point que l'usine n'a pas pu, cette année, régler les paysans au moment de la récolte de manioc, par manque de fonds.

" C'est très très peu industrialisé ici et, pour une petite société comme nous, il est très difficile d'obtenir des prêts en Chine. Le gouvernement local n'a pas les moyens de nous aider ", dit le patron, Li Yuexing. Il cherche à obtenir un prêt de Proparco, une institution financière dépendant de l'Agence française de développement qui a pour mission d'aider au financement des pays en développement.

Le dossier est examiné dans le cadre de l'attribution de " crédits carbone ", mécanisme de compensation qui permet aux pays en voie de développement, non tenus par les obligations du protocole de Kyoto, de faire des efforts en matière de réduction des gaz à effet de serre. La Chine, premier émetteur mondial de CO2, est le premier bénéficiaire au monde de ce protocole.

" Il est réducteur d'attribuer la hausse actuelle des prix alimentaires uniquement aux biocarburants, estime Paul de la Guérivière, représentant pour la Chine de Proparco. Pour preuves, la hausse du prix du riz qui ne peut trouver sa justification dans les biocarburants, ou la stagnation du prix du sucre alors que la demande en bioéthanol aurait dû le pousser à la hausse. " Au-delà de tensions en partie spéculatives, note-t-il, " il reste essentiel de développer des filières biocarburants n'entrant pas en compétition avec l'alimentaire et ne diminuant pas la biodiversité. Il y a une place pour cela et des solutions existent, c'est ce que nous recherchons ".

Brice Pedroletti

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