La réunification de l'île avec la Chine pourrait marquer le début du recul de l'influence américaine en Asie
Après 10 années de rupture, de nouvelles négociations entre Taiwan et la Chine continentale viennent de commencer. Derrière des questions de bureaux de représentation, de vols directs ou de consolidation des échanges économiques, la possibilité d'une réunification des deux entités paraît plus réelle que jamais. Plus profondément, ces négociations pourraient marquer symboliquement le début du recul de l'influence américaine en Asie.
Un lourd passé
La Chine communiste réclame depuis 1949 la souveraineté sur Taiwan. À l'époque, Taiwan présentait peu d'intérêt pour les États-Unis. La situation change radicalement en 1950, avec la guerre de Corée. Le gouvernement américain prend subitement conscience du danger de contagion du communisme en Asie. Dès lors, Washington arme et soutient économiquement Taiwan. Le gouvernement de Taiwan représentera même l'ensemble de la Chine à l'ONU jusqu'en 1971.
Puis, en 1971, les dirigeants américains permettent l'expulsion du gouvernement de Taiwan de l'ONU et son remplacement par celui de Mao parce qu'ils ont besoin de l'alliance de la Chine communiste contre l'URSS. Depuis 1978, les États-Unis affirment que le gouvernement de Pékin est l'unique gouvernement légal de la Chine, mais subtilité diplomatique, Washington "reconnaît la position de la Chine, à savoir qu'il n'y a qu'une Chine et que Taiwan fait partie de la Chine". Or, reconnaître une position n'est pas reconnaître un fait. C'est que l'île demeure pour les États-Unis un allié politique, économique et militaire essentiel dans la région.
Une population divisée
Environ 35% de la population taiwanaise pense que l'île devrait demeurer indépendante à jamais. Les autres 65% voudraient soit conserver le statu quo, soit rejoindre la Chine continentale. Le parti du Guomindang, qui a gagné les dernières élections, essaie de rallier ces deux derniers groupes, d'où sa position ambiguë dans les négociations avec la Chine continentale.
Dans l'esprit de beaucoup de Taiwanais, l'absence de démocratie et d'un véritable État de droit en Chine communiste constituent les principaux obstacles à la réunification. Ces huit dernières années, alors que le parti indépendantiste était au pouvoir, l'économie taïwanaise est devenue plus fragile et des dirigeants de ce parti ont été éclaboussés par divers scandales de corruption. Pendant ce temps, la Chine continentale s'est un peu rapprochée d'une forme d'État de droit et l'accès à son marché est devenu essentiel pour Taiwan. La réussite de la Chine continentale a même fait renaître chez plusieurs la fierté d'appartenir à la culture chinoise.
L'exemple de Hong-Kong
La Chine communiste a lancé au début des années 80 le concept "d'un État, deux systèmes", en premier lieu pour justifier et expliquer sa position vis-à-vis de Hong-Kong, mais aussi pour proposer à Taiwan un cadre de négociation. Le gouvernement de Taiwan a toujours refusé de négocier sur cette base. Pourtant, la situation de Taiwan est de plus en plus similaire à celle de Hong-Kong avant la réunification.
Le gouvernement anglais souhaitait au départ conserver l'île de Hong-Kong, qui avait été cédée à perpétuité à l'Angleterre, et rendre le reste du territoire de Hong-Kong à la Chine. Mais le gouvernement chinois refusait. Or, l'île de Hong-Kong était devenue dépendante économiquement des autres territoires de Hong-Kong. L'Angleterre ne pouvait pas non plus défendre militairement l'île contre la Chine. Elle céda donc en 1997 les territoires et l'île, mais vida au passage les coffres de Hong-Kong. La démocratie naissante à Hong-Kong pesa bien peu dans les négociations.
Les échanges économiques de Taiwan sont de moins en moins tributaires du commerce avec les États-Unis et de plus en plus liés à la Chine. Si le mouvement se poursuit, Taiwan se retrouvera dans la même situation de dépendance vis-à-vis la Chine que l'était l'île de Hong-Kong face au reste du territoire de la colonie. C'est, entre autres, pour cette raison que le parti indépendantiste taïwanais avait coupé les négociations avec la Chine continentale lors de son arrivée au pouvoir. Malgré tous ses efforts, l'économie de Taiwan est devenue de plus en plus intégrée à celle de la Chine continentale.
La situation militaire de l'île est aussi problématique. L'armée chinoise a comblé une bonne partie du retard technologique qu'elle avait avec les États-Unis, de telle sorte qu'il devient de plus en plus difficile pour l'armée américaine de défendre Taiwan. Mais au-delà des technologies militaires, il est aussi de plus en plus difficile de vendre à l'opinion publique des États-Unis, ou à celle des pays alliés, l'idée d'une intervention armée contre Pékin pour défendre Taiwan, d'autant plus qu'une telle intervention heurterait les intérêts économiques de plusieurs pays de la région.
Le lent déclin du poids militaire et économique des États-Unis en Asie de l'Est et la montée de la puissance de la Chine provoquent plusieurs réalignements politiques dans la région et dans le monde. Taiwan n'est qu'un de ces réalignements.
L'auteur est politologue et spécialiste de la Chine
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