Le combat contre l'épidémie de pneumonie atypique en Chine est un combat que le Parti communiste chinois ne peut pas se permettre de perdre. Une victoire contre cette maladie illustrera l'efficacité des immenses moyens de contrôle dont le Parti dispose pour construire la puissance chinoise. À l'inverse, une défaite du Parti contre la propagation du virus remettra en question la domination du Parti sur la société chinoise et envenimera très certainement les luttes entre les factions au pouvoir.
Le Parti communiste chinois prétend que l'une des principales raisons pour lesquelles il doit demeurer au pouvoir est que sans sa présence à la tête de l'État, la Chine sombrerait dans l'anarchie et le chaos. Cette prémisse sert de justification auprès de la population chinoise pour empêcher toute évolution du pays vers une démocratie réelle.
Les dirigeants chinois avancent, par exemple, que la lutte entre plusieurs partis politiques pourrait mener à l'exacerbation des régionalismes et éventuellement conduire à l'éclatement du pays. La même prémisse est aussi utilisée pour faire taire à l'étranger ceux qui voudraient que la Chine abandonne son régime autoritaire. Ainsi, Deng Xiaoping a-t-il déjà évoqué la catastrophe pour les pays voisins que constituerait une émigration massive de Chinois. Une telle catastrophe pourrait survenir en raison de mauvais résultats économiques et les dirigeants chinois plaident qu'un régime autoritaire est le meilleur garant de la prospérité du pays.
Le dogme remis en question
Or, la crise provoquée par le virus de la pneumonie atypique pourrait remettre en question ce dogme. Il est généralement admis que le Parti communiste a caché les données sur la maladie, à tout le moins dans un premier temps, ce qui a contribué à envenimer la situation. Des voix s'élèvent déjà en Chine pour condamner le culte du secret qui entoure le Parti et réclamer davantage de démocratie. À l'extérieur, les partenaires de la Chine se sont questionnés sur la confiance qu'ils pouvaient accorder aux dirigeants du pays, la mauvaise gestion du gouvernement chinois paraissant une des causes de la dissémination du virus. Bref, le Parti communiste chinois a deux fois perdu la face, envers les Chinois et envers les étrangers.
Les dirigeants du Parti ont bien saisi la gravité de la situation et ils ont déclaré une véritable guerre à la maladie. Des mesures extraordinaires ont été prises à travers tout le pays, non seulement en termes de moyens de lutte directe contre la maladie, mais aussi en termes de pouvoirs extraordinaires accordés à divers échelons du gouvernement. Le Parti communiste chinois montre ainsi toute la puissance dont il est capable. L'armée est mobilisée, la propagande est bien rodée, des mesures budgétaires ont été prises, de vieux procédés comme la délation, que l'on croyait en déliquescence, sont remis à la mode. La machine de guerre du Parti est impressionnante et il n'est plus possible d'accuser le Parti de négliger le problème; bien au contraire, la Chine est en train de devenir un modèle de lutte contre la maladie.
Ce qui est préoccupant, c'est qu'en dépit de tout cet imposant arsenal, des citoyens chinois "désobéissent" au gouvernement. Par exemple, des paysans chinois qui travaillent dans les villes et qui représentent, selon certaines estimations, une population flottante de près de 200 millions de personnes, commencent à retourner chez eux. Bien que tolérés dans les villes où ils occupent souvent des emplois dont personne d'autre ne veut, ces paysans y sont néanmoins en situation illégale et leurs revenus sont précaires.
Dans une situation de ralentissement économique et dans une période où la surveillance sur les citoyens est renforcée, ces paysans ne pouvaient que chercher à retourner chez eux. Pourtant, le gouvernement limite les sorties à l'extérieur des villes infectées. Le gouvernement a-t-il manqué de clairvoyance en ne prévenant pas cet exode vers les campagnes ou bien ne s'est-il pas fait obéir? Dans les deux cas, c'est la capacité de gouverner du Parti communiste chinois qui est remise en cause.
Bon contrôle de la situation
Il est donc urgent pour le Parti communiste chinois de montrer à sa population et au reste du monde qu'il contrôle bien la situation. Pour le moment, l'économie chinoise semble assez forte pour soutenir le choc temporaire de l'épidémie. Certes le tourisme, le transport et certaines industries de pointe seront très affectés, mais les perspectives à long terme demeurent bonnes pour ces secteurs et l'économie de la Chine pourrait malgré tout connaître un croissance d'environ 7,5 % en 2003, suivant les prédictions de la Banque mondiale. De leur côté, devant la gravité de la situation, les dirigeants chinois resserrent les rangs.
Il se pourrait que l'Organisation mondiale de la santé annonce que la pneumonie atypique a été vaincue dans certaines villes chinoises. Une fois la maladie vaincue dans les villes, il ne resterait qu'à la combattre dans les campagnes. Une telle annonce redonnerait confiance à la population et montrerait que le Parti communiste est toujours le meilleur garant de la stabilité du pays et de sa bonne gouverne. Bien plus, les dirigeants chinois pourraient miser sur leur bonne gestion de la crise pour rassurer les gouvernements et les investisseurs étrangers. La Chine sortirait ainsi renforcée de la lutte contre la pneumonie atypique.
Il y a cependant une possibilité que ce scénario ne se produise pas. La situation politique et économique en Chine pourrait devenir très instable si l'épidémie n'était pas maîtrisée dans le pays et si elle se répandait rapidement ailleurs en Asie et dans le monde. Des investissements étrangers, qui sont pour le moment reportés, pourraient être détournés vers d'autres pays; l'image de marque des produits chinois risquerait d'être durablement endommagée; la recherche d'un bouc-émissaire pourrait même faire naître un sentiment antichinois.
Dans un tel contexte, il faudrait s'attendre à ce que la Chine se replie sur elle-même, son marché intérieur suppléant en partie à ses pertes de marchés extérieurs. Plus important, le chômage risquerait d'augmenter et du coup, le mécontentement de la population face au Parti communiste s'accroîtrait. Des luttes de pouvoir entre les factions risqueraient alors de réapparaître, les éléments les plus réformistes tentant de pousser la Chine vers une démocratisation du régime, tandis que les éléments les plus conservateurs pourraient vouloir renforcer le caractère autoritaire de celui-ci.
Somme toute, la victoire ou la défaite du gouvernement chinois contre la pneumonie atypique constituera un excellent indicateur de la capacité de la Chine d'aujourd'hui à devenir une véritable grande puissance.
L'auteur est professeur de science politique à l'Université Concordia et sinologue.
© 2003 La Presse. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire