À LA SUITE des attentats du 11 septembre, le président George W. Bush aurait réalisé combien la Chine et les États-Unis partagent les mêmes intérêts. Trente ans jour pour jour après la rencontre historique entre Richard Nixon et Mao Tse-tung, le président américain et son homologue chinois vont donc tenter de relancer la coopération entre les deux pays, alors que commence aujourd'hui la visite de M. Bush en Chine. Or en réalité, malgré ces voeux pieux, la Chine et les États-Unis n'ont plus beaucoup d'intérêts en commun.
Entente sur le terrorisme
Le domaine de coopération le plus évident est celui de la lutte contre le terrorisme. Pékin soutient que le groupe de ben Laden a formé des terroristes dans le but de promouvoir l'indépendance de la province chinoise du Xinjiang. Effectivement, la Chine est secouée depuis plusieurs années par des attentats à la bombe et les autorités, sinon la rumeur publique, accusent volontiers les mouvements séparatistes du Xinjiang de ces méfaits.
La province du Xinjiang, qui est peuplée de minorités musulmanes ouïgour, kazakh et kirghiz, est tombée sous le contrôle de la Chine vers la fin du 19e siècle. Dans les années cinquante, le gouvernement chinois a entrepris de mieux intégrer cette province à la Chine en y favorisant l'immigration de Chinois de souche et en sinisant ses minorités. Les Ouïgours, qui en 1950 formaient près de 75 % de la population du Xinjiang, sont à présent minoritaires dans leur propre territoire. Or, le gouvernement chinois est soupçonné de profiter de la lutte contre le terrorisme pour arrêter de simples opposants politiques ouïgours.
Les États-Unis et la Chine ont aussi intérêt à ce que la grande région asiatique demeure en paix. Mais alors que les Américains accusent la Corée du Nord de fabriquer des armes de destruction massive, les Chinois prétendent que l'armement nord-coréen demeure relativement inoffensif en regard de celui des États-Unis et de leurs alliés. Derrière la rhétorique de "l'axe du Mal" et le projet de bouclier antimissile, Pékin accuse Washington de chercher à étendre son hégémonie et de viser en particulier à contenir l'influence de la Chine.
Croissance fulgurante
La montée de la puissance économique de la Chine est aussi une source d'inquiétude pour Washington. La croissance fulgurante de la Chine depuis vingt ans ne s'essouffle pas. Bien au contraire, elle semble s'accélérer en raison de l'entrée du pays dans l'Organisation mondiale du commerce et en raison du développement des vastes territoires intérieurs du pays qui regorgent de ressources peu exploitées et qui constituent des réservoirs de main-d'oeuvre bon marché.
Au rythme où croît l'économie de la Chine, le pays deviendra cette année la cinquième puissance économique au monde; en 2010 il supplantera le Japon au second rang, et en 2020 il pourrait même coiffer les États-Unis au premier rang.
Cette croissance de l'économie pousse les plus optimistes à penser que la Chine aura de moins en moins de raisons de mener une politique hostile, puisqu'elle voudra préserver son commerce extérieur. D'autres, plus pessimistes, redoutent que la nouvelle puissance économique de la Chine ne s'accompagne d'un renforcement significatif de sa puissance militaire et que sa domination des marchés ne se fasse aux dépens des autres puissances économiques. Ce qui est sûr, c'est que la Chine a déjà commencé à revendiquer des changements en sa faveur dans diverses organisations économiques internationales.
Le problème de Taiwan
Taiwan pose aussi problème aux Américains. Les États-Unis prétendent depuis 1972 qu'ils appuieront une réunification pacifique de Taiwan à la Chine, étant entendu que la Chine communiste se transformerait en démocratie. Mais la réunification de Taiwan ne se fait pas selon les prévisions américaines. Non pas qu'un danger d'invasion de l'île soit imminent, mais plutôt que la Chine est en train d'avaler économiquement Taiwan, sans qu'il y ait de réelle démocratisation du régime communiste.
La perte de Taiwan porterait un dur coup à la diplomatie américaine. D'abord, elle marquerait symboliquement un recul des États-Unis dans la région, ensuite elle leur ferait perdre un puissant allié économique et militaire. Or, rien ne semble freiner cette évolution.
Deux grandes libertés confisquées
La question des droits de la personne en Chine demeure très marginale face à ces grandes préoccupations. Il serait faux de croire que la Chine est un pays où règne la terreur et où les citoyens sont privés de toutes libertés. En fait, le gouvernement du Parti communiste chinois a confisqué deux grandes libertés dont l'absence suffit à lui garantir le pouvoir. La liberté d'association en premier lieu: les partis d'opposition et les mouvements d'opposition ne sont pas tolérés en Chine, sauf s'ils sont contrôlés par le parti. La liberté de presse ensuite: les médias et Internet sont étroitement surveillés par le parti.
En permettant l'entrée de la Chine dans l'OMC, les États-Unis ont perdu une arme pour inciter les dirigeants chinois à renforcer les droits de la personne, puisqu'ils ne peuvent plus menacer celui-ci de ne pas renouveler la clause de la nation la plus favorisée.
Il est ironique d'observer qu'en 1972 les États-Unis avaient forgé une grande alliance avec la Chine contre l'URSS, alliance qui s'était matérialisée par une aide militaire, scientifique et technique massive. Cette alliance a beaucoup profité à la Chine, au point où elle est devenue une rivale sérieuse des États-Unis.
À présent, les États-Unis semblent chercher à renforcer leur partenariat avec la Russie, le Japon, l'Inde ou la Corée du Sud plutôt qu'avec la Chine. Beaucoup aux États-Unis espèrent que le commerce avec la Chine fera tomber le régime communiste. Il faut observer que, depuis que la Chine s'est ouverte au commerce international, il y a presque vingt-cinq ans, c'est l'inverse qui s'est produit: le Parti communiste chinois est plus fort et plus déterminé que jamais à propulser la Chine au rang de première puissance mondiale.
L'auteur est professeur de science politique à l'université Concordia et chercheur à la Chaire Raoul- Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM (www.dandurand.uqam.ca).
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