lundi 31 décembre 2007

Macao - Splendeur ou déchéance de la Chine? - Loïc Tassé

Le Devoir - Idées, jeudi, 23 décembre 1999, p. A9

Deng Xiaoping a été l'homme du retour de Hong-Kong et de Macao et Jiang Zemin aimerait bien être celui du retour de Taïwan. Avec la restitution de Macao, Jiang Zemin se sent les mains libres pour réorienter plus fermement toute la politique extérieure de la Chine vers Taïwan, et c'est d'abord pour cette raison que le retour de Macao est fêté avec tant de faste. Mais Macao est aussi connue pour la corruption qui y règne, ce qui rappelle fâcheusement à la population que ce problème sévit aussi dans le céleste empire.

Aux yeux des Chinois, le retour de Macao est donc paradoxal: il symbolise à la fois une nouvelle étape dans la reconquête de la splendeur passée et le danger d'une déchéance dans la corruption.

Contrôle de facto

Le retour de Macao a par ailleurs été négocié dans des circonstances que le gouvernement chinois préfère taire. En effet, dès 1974, le gouvernement du Portugal avait offert à la Chine de récupérer le petit territoire de 16 km2. La Chine refusa. C'est que les autorités chinoises avaient pris de facto le contrôle économique et politique de la colonie grâce aux émeutes qui y étaient survenues en 1967 dans la mouvance de la Révolution culturelle. Non seulement la Chine n'était donc pas pressée de recouvrer ce territoire, mais le gouvernement chinois y faisait de juteuses affaires grâce aux casinos. De plus, la Chine de l'époque était secouée par les intrigues de palais de la fin du règne de Mao et il semble qu'aucune des factions d'alors n'ait réussi à réunir les appuis nécessaires pour s'attribuer le mérite d'un tel retour.

Il faudra donc attendre l'arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir pour qu'une entente secrète sur le retour de Macao soit négociée, en 1979, entre la Chine et le Portugal. Cette entente ne sera révélée qu'en 1987, soit trois ans après la signature avec la Grande-Bretagne pour le retour de Hong-Kong. Ces délais s'expliquent par la crainte de la Chine de déstabiliser Hong-Kong, qui aurait pu connaître une crise de confiance, et par un certain nombre de désaccords qui subsistaient entre les gouvernements, notamment sur la nationalité des habitants de Macao.

"Un État, deux systèmes"

Les conditions du retour de Macao seront finalement similaires à celles négociées pour Hong-Kong, à la différence que les titulaires de passeports portugais (environ 100 000 personnes sur 500 000) pourront bénéficier de la double citoyenneté chinoise et portugaise, ce qui constitue une exception à la loi chinoise qui interdit la double nationalité. Pour le reste, la Chine s'engage à respecter sa politique d'"un État, deux systèmes", c'est-à-dire à récupérer notamment la politique étrangère et la sécurité de la petite colonie mais à laisser inchangée pour les 50 années à venir les principaux aspects politiques et économiques de Macao.

Si le retour de Macao ne pose pas beaucoup de problèmes juridiques aux dirigeants chinois, il soulève par contre symboliquement le problème du jeu et de la corruption dans le pays. Les casinos et les jeux d'argent illégaux pullulent partout en Chine, bien qu'ils soient interdits ailleurs qu'à Macao. Or, depuis son arrivée au pouvoir, en 1949, le gouvernement communiste a lancé campagne après campagne pour tenter d'éradiquer la corruption. Non seulement il n'y est jamais parvenu, pire encore, le problème s'est amplifié à mesure que la société s'enrichissait, au point de prendre des proportions gigantesques qui menacent les réformes économiques. Or cette corruption mécontente de plus en plus la population, qui souffre de l'impact des réajustements économiques et a l'impression que la nomenklatura chinoise détourne les profits. Dans ce contexte, on comprend que le gouvernement chinois insiste lourdement sur la nécessité de préserver la stabilité du pays.

Certes, le gouvernement de Jiang Zemin peut se réjouir de la nouvelle légitimité que lui procure sur le plan international le retour de Macao, mais en revanche, ce remembrement alimente les craintes des opposants de la Chine qui voient dans ce pays un rival potentiel des États-Unis. Le gouvernement de Taïwan lance d'ailleurs depuis plusieurs mois des déclarations alarmistes sur les nouvelles capacités militaires de la Chine. Washington n'est pas complètement insensible à ce point de vue et beaucoup se demandent si le nouveau système de défense balistique que le Pentagone est en train de construire n'est pas d'abord dirigé contre la Chine. Ainsi, en dépit de la libéralisation du commerce, le retour de Macao pourrait-il marquer le début d'une nouvelle ère de confrontation avec la Chine.

Tassé, Loïc

L'auteur est chercheur à la Chaire Téléglobe + Raoul Dandurand et au CEPES. Il enseigne à l'université Concordia.

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