lundi 31 décembre 2007

Nouvelle crise entre les "deux" Chines: Pékin ne peut se permettre d'envahir Taïwan - Loïc Tassé

Le Devoir - Idées, mercredi, 11 août 1999, p. A7

Contrairement à ce que certains commentateurs alarmistes voudraient laisser croire et contrairement aux déclarations belliqueuses que se lancent les gouvernements de Taïwan et de la Chine continentale, il y a fort peu de risques qu'un conflit armé émerge entre les deux côtés du détroit de Formose. Bien au contraire, l'île de Taïwan se rapproche de plus en plus de la Chine continentale et la fusion entre les deux entités paraît inévitable, à plus ou moins long terme.

Ce qui pose problème, ce sont les conditions dans lesquelles une telle fusion se produira. Pour les États-Unis et Taïwan, le retour de l'île à la Chine continentale serait acceptable si cette dernière cessait d'être communiste et se démocratisait un jour. D'ici là, les États-Unis espèrent maintenir le statu quo, sauf dans le commerce, puisque l'augmentation des échanges commerciaux entre les deux côtés est le plus souvent perçue comme un facteur de paix. Du point de vue de Pékin, un régime similaire à celui de Hong-Kong, c'est-à-dire celui "d'un État deux systèmes", serait idéal pour toutes les parties, l'essentiel étant que, dans un premier temps, la réunification avec Taïwan soit considérée comme une affaire strictement intérieure, donc un problème dans lequel le reste du monde ne trouverait pas de fondements juridiques pour s'ingérer.

La nouvelle crise a commencé lorsque Lee Teng Hui, l'actuel président de Taïwan, a déclaré que Taïwan était un État de fait, ce qui s'oppose à la vision de Pékin mais correspond à la réalité, puisque, pour le moment, Pékin n'exerce aucune autorité sur l'île. La Chine a répondu en annulant les négociations commerciales prévues pour cet automne entre elle et Taïwan et en mobilisant des troupes face à l'île. Est-ce à dire que Lee Teng Hui a renoncé à la réunification? Est-ce à dire que Pékin réexamine l'opportunité d'une invasion armée de Taïwan? Probablement pas. En réalité, il semble que Lee Teng Hui ait surtout cherché à se faire du capital politique pour les élections présidentielles de Taïwan, en mars 2000. Le principal adversaire de Lee Teng Hui est en effet un parti indépendantiste et la déclaration à saveur indépendantiste du président pourrait lui rapporter de nombreux votes. Du reste, le vice-président taïwanais s'est par la suite senti obligé de réaffirmer la politique officielle taïwanaise de refus de l'affrontement, de refus de l'indépendance et de refus de réunification hâtive. Du côté de la Chine continentale, on sait bien que Taïwan est un des principaux partenaires commerciaux et la suspension des négociations commerciales semble donc très temporaire.

Isolement de Taïwan

De façon générale, Pékin tente d'obtenir le retour de Taïwan par quatre moyens, soit l'isolement politique de Taïwan, la manipulation de l'opinion publique, l'accroissement des liens économiques avec l'île et la montée de la menace militaire. Ainsi, par exemple, les essais de tirs de missiles chinois dans les eaux frontalières de Taïwan, en 1996, avaient marqué l'avènement symbolique d'une nouvelle diplomatie chinoise qui, après le retour réussi de Hong-Kong et de Macao, a fait du retour de Taïwan sa nouvelle priorité. À l'époque, la nouvelle politique de Pékin avait d'ailleurs contribué à influencer les électeurs taïwanais et aidé à défaire les partis politiques qui revendiquent ouvertement l'indépendance.

Invasion militaire

Concrètement pourtant, Pékin ne peut pas se permettre une invasion militaire de Taïwan. D'abord parce que les États-Unis la défendraient, ensuite et surtout parce que les coûts politiques et économiques d'une telle attaque seraient extrêmement élevés, d'autant que la situation économique actuelle de la Chine est difficile.

La question de Taïwan dépasse cependant les simples enjeux régionaux. Tout comme le retour de Hong-Kong a accentué le déclin de la Grande-Bretagne dans le monde, les discussions sur le retour éventuel de Taïwan posent le problème de l'affaiblissement de l'influence américaine et confirment la montée de la Chine. Les États-Unis se complaisent souvent avec superbe dans la supériorité technologique dont ils disposent, mais leurs capacités d'intervention sur le terrain sont de plus en plus remises en question. À l'inverse, la Chine tente de se faire passer pour moins puissante qu'elle ne l'est en réalité, comme le montrent les dix années qu'elle a attendues pour révéler qu'elle possédait la bombe à neutrons. Personne ne sait si cette évolution des relations internationales conduira à une exacerbation des tensions ou à une nouvelle ère de paix, mais la question taïwanaise demeure un excellent instrument de mesure de cette évolution.


Tassé, Loïc

Chercheur associé à la chaire d'études stratégiques Téléglobe Raoul Dandurand et au Centre d'études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES)


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