La violence du séisme qui a endeuillé des dizaines de milliers de familles chinoises, a été ressentie jusqu'à Shanghaï et Bangkok. Au lendemain de cette catastrophe, le monde a pu constater avec quelle célérité le gouvernement chinois a réagi, mesurant instantanément l'ampleur du désastre et mobilisant en conséquence des hommes et des moyens.
Il serait affreux de ne discerner dans cet empressement qu'opportunisme politique, à trois mois de l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin. La Chine de 2008 n'est plus celle du passé. Ainsi en 1976, un tremblement de terre qui avait provoqué entre 250 000 et 650 000 morts, non loin de la capitale chinoise, avait été purement et simplement nié par Mao Tsé-toung.
Trente-deux ans plus tard, les héritiers du Grand Timonier se précipitent sur les lieux du drame et acceptent sans tergiverser l'aide internationale qui se propose. Ainsi peut-on mesurer le chemin parcouru, cahin-caha, par les dirigeants de l'empire du Milieu ces trois dernières décennies. Dans plusieurs domaines - le confort quotidien, la liberté de voyager et celle d'entreprendre -, la Chine s'est remarquablement adaptée au monde moderne.
Dans d'autres - l'expression politique, religieuse et la liberté de l'information -, le parti au pouvoir maintient le couvercle solidement vissé. La Chine est demeurée, au sein du club des dix pays les plus riches du monde, la seule nation qui ne soit pas une démocratie. En passant si vite d'un excès de socialisme à un excès de capitalisme, elle montre même, dans certains cas (les épidémies non contrôlées de sida, de sras ou d'hépatite B), une inconscience inquiétante.
Mais les inondations et les séismes sont toujours traités avec sérieux par le pouvoir central pékinois. Car dans l'inconscient collectif chinois, ces catastrophes naturelles sont un signal. Elles indiquent au peuple que le Ciel n'est plus satisfait de l'empereur, trop injuste, trop corrompu, trop éloigné des « valeurs » qui maintiennent l'harmonie sur la terre. Il est donc temps de changer de dynastie.
Le mot « révolution » se dit en Chinois « geming », c'est-à-dire « retour du mandat céleste ». Lorsque rien ne va plus, changer de dynastie, c'est renouer avec l'équilibre ancestral de l'empire. Le changement, du point de vue chinois, ne serait donc qu'un perpétuel recommencement. La révolution communiste de 1949, en introduisant une timide notion d'égalité entre les individus, a certes bouleversé ces vieux concepts. Les croyances traditionnelles demeurent cependant vivaces dans l'esprit des 700 millions de ruraux chinois.
D'autant que le séisme de ce lundi survient six mois seulement après les tempêtes et inondations de l'hiver, qui ont été les pires connus dans le pays, en l'espace d'un demi-siècle.
Il est donc crucial pour Pékin de démontrer qu'il est capable de se soucier des victimes de ce séisme, comme l'armée avait sauvé, il y a six mois, bien des malheureux emportés par les flots. Il en va de sa légitimité, c'est-à-dire de sa survie. Il en va également de l'unité nationale. Car jamais les écarts de richesse entre provinces opulentes des côtes et provinces pauvres du centre, celles touchées lundi par le séisme, n'ont été aussi exacerbés en Chine.
Réagir collectivement à ce drame, c'est rassembler encore plus sûrement le 1,3 milliard de Chinois que ne l'ont fait les critiques des opinions publiques occidentales sur la répression des émeutes au Tibet. La solidarité du monde extérieur avec la Chine aura, dans cette épreuve, le mérite de calmer les fièvres nationalistes des Chinois, qui pensent toujours que le monde extérieur s'est ligué contre eux afin de saboter la renaissance de leur pays.
* Grand reporter au service étranger du Figaro.
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