vendredi 30 mai 2008

Pékin se montre patelin avec Taïwan - François Hauter

Le Figaro, no. 19853 - Le Figaro, vendredi, 30 mai 2008, p. 6
Après la gestion désastreuse de la crise au Tibet, et deux mois avant l'ouverture des Jeux olympiques, le pouvoir central à Pékin annonce des discussions avec Taïwan, en vue de l'ouverture de lignes aériennes directes entre la Chine communiste et l'île démocratique.

L'agence Chine nouvelle, porte-voix officiel de Pékin, indique que les discussions se tiendront dans la capitale chinoise entre les 11 et 14 juin. Elles porteront également sur la possibilité, pour les touristes du con- tinent, de se rendre à Taïwan.

C'est là un geste de détente du régime de Pékin, qui a menacé d'écraser sous le feu de ses 1 400 missiles pointés vers « l'île rebelle », ses « frères » taïwanais, s'ils proclamaient leur indépendance. C'est une façon aussi pour la Chine continentale de renforcer le parti des milieux d'affaires taïwanais, qui réclament depuis longtemps ce rapprochement physique et diplomatique, entre les deux rives du détroit de Formose. L'annonce des discussions intervient au lendemain de la première rencontre entre le secrétaire général du Parti communiste, Hu Jintao, et M. Wu Poh-hsiung, le président du Kuomintang (KMT).

La rencontre fut un événement historique. En 1949, Mao Zedong avait pris le pouvoir à Pékin, obligeant son vieux rival, le généralissime Tchang Kaï-chek, chef du Kuomintang, à se replier à Formose (Taïwan). Depuis 1949, le dialogue politique entre les anciens adversaires était rompu.

Taïwan a d'abord vécu sous la dictature droitière de Tchang Kaï-chek, avant que son fils Tchang Ching-kuo n'entame la mue du régime vers la démocratisation. Le 22 mars 2008, c'était la quatrième élection présidentielle démocratique à Taïwan depuis 1996 : le KMT retrouvait le pouvoir. Le nouveau président, Ma Ying-jeou, élu avec 58,45 % des suffrages, répétait : « La réunification ne pourra pas se réaliser tant que le système politique de la Chine ne sera pas démocratique. » Il insistait cependant : Taïwan doit normaliser sa relation avec Pékin, après huit années d'affrontements verbaux incessants entre la Chine communiste et l'ex-président taïwanais, l'indépendantiste Chen Shui-bian.

Un succès nécessaire après le fiasco tibétain

La dimension symbolique de ce qui se déroule ces jours-ci à Pékin est immense : la Chine communiste ne veut discuter qu'avec le Kuomintang. Car un éventuel accord entre le Parti communiste chinois et le KMT, qui a longtemps prétendu vouloir prendre sa revanche sur sa défaite de 1949, signifierait, de manière éclatante aux yeux du monde, que la Chine de Mao a définitivement vaincu celle de Tchang Kaï-chek. Pour les héritiers du Grand Timonier, cette affaire est une cause sacrée : le PCC doit terrasser son vieux rival, le KMT, en récupérant Taïwan.

Si Pékin tend soudain la main à Taïwan, c'est aussi parce qu'il a besoin d'un succès, après le fiasco tibétain. Les émeutes de mars dernier ont démontré les difficultés persistantes de la Chine à contrôler le Tibet. Car si les manifestations ont été assez violentes autour de Lhassa, elles l'ont été bien davantage dans les parties tibétaines des régions du Sichuan et du Yunnan. Là précisément où Pékin pensait avoir gagné les coeurs de la population des hauts plateaux. Pékin, dans la gestion du Tibet, misait tout sur un scénario simpliste : à la mort du dalaï-lama, la résistance tibétaine s'éteindrait d'elle-même.

C'est désormais une hypothèse dépassée : une large partie de la jeunesse s'est radicalisée au Tibet et n'écoute plus le dalaï-lama, qu'elle juge trop modéré. Ainsi le sentiment nationaliste tibétain, loin d'avoir été étouffé par le confort matériel apporté par la Chine, s'est exacerbé sur les hauts plateaux. Pour la Chine communiste, la catastrophe est tangible : le Tibet dans son ensemble (un quart du territoire chinois) est devenu une zone de résistance. Dans cette affaire, Pékin est plongé dans l'embarras. Il lui est difficile de renouer le dialogue avec le chef spirituel tibétain : depuis quarante ans, la propagande officielle le présente comme un loup. Il est maintenant difficile d'en faire un homme de paix, aux yeux de l'opinion publique chinoise.

La diplomatie chinoise est souvent prévisible, tant elle est l'instrument privilégié du PCC pour consolider son pouvoir, lorsque celui-ci se fourvoie. La main soudainement tendue à l'est du pays sert à rattraper la crise à l'ouest. Elle sert également à montrer à l'opinion publique chinoise, traumatisée par le drame du tremblement de terre du Sichuan (68 000 morts, selon le dernier bilan officiel), que les dirigeants communistes peuvent être des hommes de paix, que les confrontations sont vaines lorsque la nation souffre.

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