mercredi 14 mai 2008

Selon Ernst & Young, la corruption prend de l'ampleur dans le monde - Annie Kahn

Le Monde - Economie, jeudi, 15 mai 2008, p. 12
"Les enquêteurs ont ainsi cherché à savoir si les personnes interrogées connaissaient la législation anticorruption américaine, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Il apparaît que globalement deux tiers des personnes interrogées l'ignorent. En France, ce taux atteint 76 %, en Allemagne 82 % et en Chine... 87 % !"

Malgré les différentes législations destinées à lutter contre la corruption dans le monde, il ne se passe pas de semaine sans qu'un nouveau scandale n'éclate. Et pour cause. Selon une enquête mondiale sur la fraude, menée par le cabinet de conseil et d'audit Ernst & Young, publiée mercredi 14 mai, un quart de près de 1 200 personnes interrogées dans 33 pays (mais seulement 6 % des Français), ont été confrontés à un problème de corruption durant ces deux dernières années.

Le panel constitué pour cette étude était composé de personnes au fait du sujet : dirigeants d'entreprises de taille moyenne ou responsables juridiques ou financiers. " La corruption est un problème qui prend de l'ampleur ", estiment même les auteurs de l'étude.

A la différence de l'enquête annuelle menée par l'ONG Transparency International (Le Monde du 30 janvier), qui classe les pays en fonction de leur degré de corruption tel qu'il est perçu par les personnes interrogées, celle d'Ernst & Young s'est attaché à un classement des secteurs.

LES FRANÇAIS SE VOILENT LA FACE

On retrouve en tête du classement les secteurs connus pour leurs mauvaises pratiques tels les ressources minières, la pharmacie ou les services collectifs. Le secteur de l'assurance apparaît en troisième position. " Il suffit que deux ou trois investissements importants aient eu lieu récemment dans un secteur pour qu'il apparaisse plus touché que d'autres ", relativise Jean-Michel Arlandis, associé chargé du département Fraude et investigation d'Ernst & Young.

Plus de la moitié des personnes interrogées estiment avoir conscience des risques encourus au cas où leur entreprise serait prise en défaut. Pourtant leur connaissance des diverses législations n'est que partielle. Sans doute connaissent-elles bien le droit en la matière dans leur pays, mais pas forcément celui qui prévaut au-delà de leurs frontières.

Les enquêteurs ont ainsi cherché à savoir si les personnes interrogées connaissaient la législation anticorruption américaine, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Il apparaît que globalement deux tiers des personnes interrogées l'ignorent. En France, ce taux atteint 76 %, en Allemagne 82 % et en Chine... 87 % !

Cette méconnaissance explique peut-être pourquoi les entreprises françaises se déclarent moins confrontées à la corruption que le reste du monde. A moins que le pays ne soit réellement devenu vertueux. La France est en effet considérée comme une bonne élève par Transparency. M. Arlandis penche plutôt pour la première hypothèse. " Les entreprises françaises se voilent la face. Leurs dirigeants ont une définition restrictive de la corruption qu'ils sont nombreux à considérer comme un acte commercial normal, non répréhensible dans les pays émergents ", estime-t-il. Peu d'entreprises françaises ont mis en place des dispositifs de prévention, des règles d'éthique pour leur personnel.

Le caractère récent de la réglementation explique peut-être ce phénomène. La France n'a en effet transposé qu'en 2000 la législation OCDE sur la corruption. Et la loi qui garantit la protection des personnes dénonçant des faits de corruption dans l'entreprise a été votée en novembre 2007, alors que la législation américaine date de 1977.

Annie Kahn

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