jeudi 8 mai 2008

ÉDITORIAL - Tibetisier - Patrick Besson

Le Point, no. 1860 - La Chronique de Patrick Besson, jeudi, 8 mai 2008, p. 13
Dans ma bibliothèque, je trouve le livre de Lucien Bodard « Le plus grand drame du monde, la Chine de Tseu Hi à Mao ». Paru chez Gallimard en 1968. 20 francs. En 1968, 1 franc c'était 1 euro. A l'époque, beaucoup d'intellos aujourd'hui antichinois étaient maoïstes. Le Tibet, ils se le mettaient au derrière de Mao.

La démocratie les faisait pleurer de rire jaune. Hochet pour vieux réacs. Les JO, ils s'en battaient l'oeil bridé. « No sport », comme avait dit Winston Churchill. Le dalaï-lama ne les excitait guère alors qu'il était déjà en robe. Matthieu Ricard avait encore des cheveux, ceux que se faisait son père, Jean-François Revel, à son sujet. C'était le bon temps où les maos braquaient Hédiard et Fauchon pour redistribuer le foie gras et le caviar aux masses populaires qui ne les ont pas digérés : la gauche mit treize ans à venir au pouvoir. Mai 68 peut être considéré comme une provocation de la bourgeoisie qui utilisa ses enfants étudiants afin de retarder l'instauration du socialisme en France.

En 2008, les anciens prochinois ont 60 piges dans différents journaux. Chauves comme des bonzes. Se pensent du coup tibétains. Suis allé à un restaurant tibétain, l'autre soir : Le Lhassa, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Ça sentait tellement mauvais que je suis parti avant les entrées et ai demandé asile au Mavrommatis en tant que réfugié gastronomique. Ils m'ont fait un menu spécial parce que j'étais avec une Grecque.

M'ont même trouvé le dernier résiné où il y a de la résine, malgré les normes de Bruxelles, la ville sans sel. Mais j'empiète encore sur les pages de mon ami Gilles Pudlowski. Je ne parlerai donc pas du merveilleux Tong Yen où j'ai naguère appris par Thérèse, la patronne chinoise, que sous Mao les Tibétains avaient le droit de faire plusieurs enfants alors que les Chinois ne pouvaient en faire qu'un. Se méfier de 1 milliard et demi de fils et de filles uniques. Tous très susceptibles.

Bodard : « Au début du XIXe siècle s'est produit l'impossible, l'incroyable, le sacrilège. [...] L'attaque est menée par des hommes qui se présentent [...] avec la Bible, avec bonne conscience, avec la certitude d'apporter à l'Empire céleste une civilisation supérieure à la sienne. » C'est nous : George Bush avec sa Bible sous le bras, Robert Ménard avec sa bonne conscience en bandoulière. Cette appellation : Reporters sans frontières . Comme si les reporters, de par leur profession, étaient au-dessus des lois, des Etats, des peuples. Personnes souriantes et supérieures gambadant d'une capitale sous-développée à l'autre pour faire la leçon au tiers-monde entier. On tente de nouveau d'envahir la Chine pour son bien, comme on le fit au XIXe siècle avec l'Afrique. On va, grâce à l'outil de la flamme olympique, bouleverser, réorganiser, repenser et réformer le pays. Instaurer par exemple les 35 heures dans les usines chinoises où, pour 1 euro par jour (1 franc en Mai 68), des jeunes filles de 15 ans cousent les pantalons que nous trouvons trop chers quand nous les achetons dans nos supermarchés, d'où nos manifestations pour le maintien du pouvoir d'achat ? La lettre de l'empereur Tchia Tching à George III, citée par Bodard : « Cette année tu as, Roi, fait partir des envoyés porteurs d'un placet et tu les as munis d'objets curieux destinés à m'être présentés. Je ne tiens pas pour précieuses les choses ingénieuses provenant de ton royaume. Roi, maintiens la concorde parmi ton peuple et je te louerai. A l'avenir point ne sera besoin de commettre auprès de moi des envoyés prenant la peine inutile de voyager d'aussi loin par terre et par mer. »

Patrick Besson

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