lundi 20 octobre 2008

La Chine et la Russie règlent leur dernier litige frontalier

La Croix, no. 38184 - Monde, jeudi, 16 octobre 2008, p. 7

C'est la fin d'un contentieux qui aura duré plus de quarante ans. Aux confins de la Russie sibérienne et au nord de la Mandchourie chinoise, officiels et militaires de ces deux géants ont officiellement inauguré hier le tracé définitif de quelques kilomètres de frontière commune. Posées au milieu du fleuve Amour (pour les Russes), ou Heilongjiang (pour les Chinois), la petite île de Yinlong (Tabarov) en son entier et la moitié de l'île Heixiazi (Bolchoï Oussouriski) ont été rétrocédées à la République populaire de Chine au cours d'une cérémonie solennelle.

Aussitôt après l'inauguration des bornes marquant la nouvelle frontière, les patrouilles chinoises ont commencé à prendre leurs marques sous le drapeau rouge étoilé. « La Chine et la Russie ont résolu cette question au moyen d'une diplomatie pacifique, mettant en place un dialogue fructueux et des consultations efficaces en vue de la résolution de questions sensibles entre les deux pays », a déclaré Qin Gang, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères.

Ainsi, plutôt discrètement, les deux grandes puissances russe et chinoise viennent de mettre un terme à des décennies de négociations sur la souveraineté de ces petits territoires disputés depuis des siècles. Elles ont réglé du même coup le dernier contentieux terrestre sur leurs 4 300 kilomètres de frontière commune.

Plusieurs protocoles d'accord avaient été signés dès 1999 entre les deux pays sur la délimitation des parties orientale et occidentale de la frontière sino-russe, dont celui prévoyant l'utilisation économique conjointe du fleuve Amour et de plusieurs îles longtemps contestées entre la Chine et la Russie. Ils avaient ainsi réglé la question de l'appartenance de 2 444 îles inhabitées le long de l'Amour et des autres cours d'eau qui séparent leurs territoires, avec un partage moitié-moitié. Mais le sort des îles Yinlong et Heixiazi n'avait alors pas pu être réglé.

La Chine et la Russie se sont disputé le contrôle de ces territoires depuis la poussée des tsars en Sibérie au XVIIe siècle, à une époque où l'influence chinoise s'étendait encore jusqu'au lac Baïkal, englobant l'actuelle Mongolie. En mars 1969, la Chine et l'Union soviétique se sont affrontées militairement pour la dernière fois dans l'île de Damansky (Zhenbao, en chinois) sur le fleuve Oussouri, faisant des centaines de morts. D'autres affrontements violents se produisirent en juin de la même année près de Yumin dans la province musulmane chinoise du Xinjiang, le long de l'actuelle frontière entre la Chine et le Kazakhstan, avant qu'une entrevue entre les premiers ministres Zhou Enlai et Alexis Kossyguine à l'aéroport de Pékin ramène le calme sur le terrain.

Le statu quo se prolongea jusqu'à la normalisation des relations sino-soviétiques en 1989, lors de la visite de Mikhaïl Gorbatchev à Pékin après trente années de brouille. Les deux pays décidèrent en 1991, après la chute de l'URSS, de procéder à la délimitation de leurs 4 300 kilomètres de frontière. En novembre 1997, le président russe Boris Eltsine signa à Pékin un accord prévoyant le développement économique commun des régions frontalières, un texte portant presque exclusivement sur la limite orientale des deux pays.

L'indépendance du Kazakhstan en 1991 a en effet singulièrement rétréci la frontière commune. À l'ouest de la Mongolie, Chine et Russie n'entretiennent plus qu'une bande frontalière d'une cinquantaine de kilomètres. Les deux pays ont signé en 1997 un accord de démilitarisation frontalière avec les trois autres ex-républiques soviétiques qui bordent la Chine sur 3 000 kilomètres : Kazakh stan, Kirghizstan et Tadjikistan.

Ces différents accords montrent un rapprochement graduel entre les deux grandes puissances d'Extrême-Orient qui ont, depuis, collaboré sur des dossiers stratégiques comme l'Iran et la Corée du Nord. En réalité, la Chine, plus que jamais, a besoin des ressources énergétiques de la Russie pour faire fonctionner son économie en pleine expansion, alors que la Russie désire profiter de la croissance chinoise et diversifier ses marchés. Rien que pour les six premiers mois de l'année 2008, le commerce bilatéral a augmenté de 60 % par rapport à l'année précédente, selon le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov. La Russie prépare également la construction de gazoducs et d'oléoducs vers la Chine, comme celui que Gazprom devrait construire depuis le gisement gazier de Kovykta, à quelques centaines de kilomètres de la frontière chinoise.

MALOVIC Dorian; GUILLEMOLES Alain

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