Il est beaucoup trop tôt pour établir un diagnostic global qui nous permettrait de rendre compte des effets de la crise région par région de la planète. L'incendie dure encore et de la résolution commune des grandes puissances économiques de la planète - Chine comprise - dépend l'ampleur des dommages causés à l'activité économique par l'interruption-thrombose du crédit bancaire. Tant que la maladie n'aura pas donné de signes d'affaiblissement, il vaudrait mieux suivre le célèbre conseil du philosophe anglo-autrichien Wittgenstein, pour lequel « ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ».
Des certitudes moins austères émergent déjà, néanmoins. La première, c'est la baisse généralisée du prix des matières premières, qui s'était déjà engagée avec le freinage de la consommation chinoise et l'effet, moins modeste que l'on ne croit, des efforts de conservation du nord de la planète. Après avoir entraîné le renversement de la spéculation, voici que les débuts de la récession entraînent à leur tour une spéculation inverse à la baisse. Ce processus inévitable présente de nombreux aspects positifs : la baisse de l'inflation permet aux principales banques centrales de la planète de réduire considérablement leurs taux au moment le plus grave de la crise.
Par ailleurs, sur le plan politique, les capacités de nuire de Chavez au Venezuela et surtout d'Ahmadinejad en Iran sont sérieusement plafonnées. Qui s'en plaindrait, à un moment où, sous l'égide de l'adversaire historique des islamistes les plus extrêmes, Rafsandjani, le bazar de Téhéran vient d'engager une grève contre les premières mesures d'austérité du gouvernement ? Mais, évidemment, il faut aussi savoir que la baisse rapide du prix des hydrocarbures frappera de toute sa force une Arabie saoudite qui restaurait sa stabilité sociale et une Russie qui retrouvait un meilleur climat d'investissement.
Le deuxième phénomène qui ne fait pratiquement aucun doute, c'est le retour à une forme, sans doute limitée, de protectionnisme. Annoncée déjà par l'échec des négociations de Doha, qui cherchaient un désarmement tarifaire en matière d'agriculture et de services, la vague protectionniste sera initialement portée par le renouveau de la puissance industrielle par rapport à la finance. Avec un prix des actifs industriels historiquement bas, l'Amérique attirera nécessairement un grand nombre de capitaux du tiers-monde qui parviennent mal à s'investir sur place. Mais, le peu d'attractivité du secteur financier est en train de faire de Warren Buffett le roi de l'époque.
Le gourou d'Omaha est, en effet, bien connu pour avoir un jour déclaré qu'il n'investissait que dans les affaires dont il comprenait la nature, la biscuiterie plutôt que le « dot com », la mécanique de précision plutôt que l'ingénierie financière. Le caractère stratégique de la reconstruction du tissu industriel américain donnera beaucoup plus de force à IBM, à General Electric, à Microsoft et à Boeing qu'aux grandes banques de la côte Est. Or l'industrie veut être protégée de la concurrence étrangère, et même si Barack Obama, une fois élu, n'applique pas la totalité de son programme protectionniste, il est certain qu'il remettra partiellement en cause le libre-échange.
Un McCain élu au finish ne pourrait que suivre dans cette voie. Les dangers apocalyptiques du protectionnisme dénoncés en son temps par Keynes ne sont en effet plus de mise, grâce à la croissance forte des pays émergents et de la stabilité des fondamentaux du libre-échange. Mais il redeviendra légitime pour des États ou des ensembles d'États tels que l'Union européenne ou le grand marché nord-américain de protéger certaines filières, voire d'intervenir plus énergiquement, comme on le fait à l'heure actuelle pour les banques en péril, en faveur d'une politique industrielle pure et dure. Restent les deux inconnues majeures que représentent l'Europe et la Chine.
Pour dire les choses rapidement, il faut que la Chine développe très vite son marché intérieur, afin de relayer la baisse de la demande globale que l'on ressentira dans le reste du monde. Cette évolution est largement arrivée à maturité, mais elle suppose un arbitrage, en faveur des salariés et au détriment des réserves accumulées par les entreprises, qui ressemble bien, sur le plan économique, à une stratégie démocratique d'ensemble.
Quant à l'Europe, qui ne voit que le moment est venu pour elle de s'unir pour de bon ? Les journées écoulées dans le stress général auront servi à quelque chose, si elles conduisent au désarmement des théologies opposées et vaines des partisans de la Banque centrale et de ceux qui prônent une coordination économique plus étroite des gouvernements. L'heure est venue de marier un Jean-Claude Trichet avec l'équivalent européen d'un Hank Paulson, qui n'existe pas encore.
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