La Chine est en passe d'officialiser une nouvelle pathologie mentale : la dépendance à l'Internet. Cette affliction, qui a déjà son sigle en Occident : IAD (Internet addiction disorder, ou troubles de la dépendance à Internet), est plus récente chez les Chinois, mais aussi plus répandue - et pas seulement parce qu'ils sont très nombreux.
Plus de 250 millions de Chinois surfent régulièrement sur la Toile, dont un certain nombre se sont jetés à corps perdu dans les jeux en ligne, les réseaux sociaux en ligne, la pornographie en ligne et autres attractions virtuelles. Les jeunes Chinois s'avouent " accros " à Internet dans des proportions plus de deux fois supérieures aux jeunes Américains, si l'on en croit une étude menée en 2007 pour la société InterActiveCorp. Le quotidien China Daily vient donc d'annoncer que le groupe de psychothérapeutes chinois chargés de rédiger le manuel officiel de diagnostic avait classé l'IAD comme maladie clinique. Si le ministère de la santé approuve le manuel, ce sera une première mondiale.
La bonne nouvelle, qui nous vient également de Chine, c'est que l'IAD se soigne. L'hôpital général militaire - oui, militaire - de Pékin affirme avoir guéri 80 % des 3 000 drogués à l'Internet qui lui ont été envoyés depuis 2005, en coupant leur connexion et en leur apportant un soutien psychologique pendant le sevrage. Cela risque de faire beaucoup de patients pour les psychologues chinois, dont le nombre est notoirement insuffisant face à une demande en forte hausse. Il suffit de voir la salle d'attente du Dr Zhong Cong, qui officie au Centre de psychologie clinique de l'Institut de santé mentale, à l'hôpital n° 6 de l'université de Pékin, un lundi matin à 9 heures : pleine. La Chine compte à peu près 30 000 psychothérapeutes pour 1,3 milliard d'habitants, et, selon des chiffres de l'OMS, dix fois moins de psychiatres par habitant que les Etats-Unis.
Or les Chinois sont comme tout le monde : le travail les stresse. " La croissance économique, la compétition, la précarité de l'emploi, tout cela a généré de plus en plus de stress ", constate le Dr Zhong, qui est psychiatre. Son bureau, sur lequel voisinent des piles de papiers, un ordinateur antédiluvien, une théière, une pipe et des cigarettes, traduit lui-même un certain niveau de surmenage. " Avec les migrations internes, les gens se retrouvent déracinés à Pékin, leur système de soutien social traditionnel est désorganisé. Avant, les gens s'entraidaient, mais, aujourd'hui, la compétition a pris le dessus. " Yu Hua, l'auteur du best-seller Brothers (Actes Sud), aime à dire que ses compatriotes ont connu en quarante ans les bouleversements que les Européens ont traversés en quatre cents ans... On ne sort pas indemne d'une pareille épreuve. Dans les années 1980, le taux de dépression en Chine était de 0,079 %, dit le psychiatre. En 2006, Shenzhen, l'une des vitrines de la réussite économique, a connu le taux le plus élevé de dépressions : 7,8 %. Tout n'est pas dramatique pour autant. L'augmentation du niveau de vie en Chine permet aux gens d'être plus attentifs à leur bien-être psychologique. Et les stigmates liés à la santé mentale diminuent : pendant longtemps, quelqu'un qui avait des problèmes psychologiques était quelqu'un qui n'avait pas de conscience politique.
Introduite en Chine dans les années 1910 et 1920, la psychothérapie a connu des vicissitudes diverses, jusqu'à être totalement bannie sous la révolution culturelle. Elle a refait surface à la faveur des réformes économiques, mais le retour en force n'a été amorcé qu'en 2002. Hachette, qui publie en France le mensuel Psychologies, a lancé le même titre en Chine en 2006, et le succès du magazine prouve que les élites urbaines, surtout féminines, sont parées pour l'introspection. Là aussi, il est beaucoup question de stress, mais aussi d'épanouissement personnel. " Les femmes tiennent plusieurs rôles à la fois, elles ont besoin de mieux se connaître ", observe He Yanping, l'une des responsables de Psychologies Chine.
Mais n'y a-t-il pas quelque incompatibilité entre la philosophie confucéenne, qui privilégie l'harmonie collective, et la psychologie occidentale, tournée vers le moi ? Pas du tout, répond le Dr Zhong, elles sont même complémentaires. Pour Confucius, trois soumissions assuraient la paix sociale : celle du sujet à l'empereur, celle du fils au père et celle de la femme au mari. Mais un autre précepte était important : n'impose pas à autrui ce dont tu ne veux pas pour toi. " Autrement dit, Confucius met l'accent sur la société, mais prend aussi en compte l'épanouissement individuel. " Sans parler de l'influence, en Chine, du taoïsme et du bouddhisme...
Huo Datong, lui, a choisi une voie plus ardue. Pionnier de la psychanalyse en Chine, il raconte dans La Chine sur le divan (Plon) qu'il est venu à Paris en 1986 et a été désolé d'apprendre que Lacan était mort depuis cinq ans : " Moi qui lui avais apporté deux statuettes bouddhistes ! " De retour en Chine, il a ouvert à Chengdu, capitale du Sichuan, le premier cabinet de psychanalyse, où, pour s'adapter aux conditions locales, il a remplacé le fauteuil et le divan par deux chaises : " Les Chinois se méfient de la parole intime. " Il est patient. " La psychanalyse est une jeune pousse, elle exigera probablement plusieurs décennies pour fleurir ", dit-il.
Sylvie Kauffmann
Post-scriptum.
Bienvenue aux Viet kieu : les Vietnamiens émigrés après la guerre pourront désormais redemander la nationalité vietnamienne sans perdre celle de leur pays d'adoption, en vertu d'une nouvelle loi adoptée à Hanoï autorisant la double nationalité. Cette disposition devrait permettre d'attirer au moins quelques-uns des 3 millions de Vietnamiens de l'extérieur.
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