Les organisations non gouvernementales (ONG) continuent de dénoncer les dangers des grands barrages sur l'environnement et l'impact social de déplacements de populations rarement maîtrisé, mais leurs arguments portent peu face à ceux mettant en avant l'urgence face au changement climatique et à la crise alimentaire.
Les chiffres confirment ce tournant : 1 201 grands barrages - à savoir des ouvrages de plus de 15 mètres de haut stockant au minimum 3 millions de mètres cubes d'eau - étaient en construction en 2007 ; 178 avaient été mis en service l'année précédente. Le mouvement concerne tous les continents, même s'il est largement tiré par les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).
Pour Pékin, l'équation est simple. " Le développement des barrages est une priorité pour réduire notre dépendance au charbon et assurer notre sécurité alimentaire ", explique Shucheng Wang, président du Comité chinois des grands barrages. " 20 % du plan de relance adopté pour faire face aux impacts de la crise financière mondiale seront consacrés à sécuriser nos ressources en eau au cours des deux prochaines années ", précise M. Wang : soit plus de 100 milliards de dollars qui iront notamment dans les barrages.
Pour défendre la place de l'hydroélectricité dans la palette des solutions alternatives aux énergies fossiles, ses promoteurs mettent l'accent sur trois avantages : elle fait partie des énergies renouvelables, elle est peu polluante et son coût est plus faible. " D'autant plus faible que les barrages sont gigantesques ", selon Michel de Vivo qui met les 3 cents du prix de revient du kilowattheure produit dans l'hydraulique en face du 0,5 dollar de l'énergie solaire ou des 10 cents de l'éolien.
Dominique Nahon, directrice du développement durable d'EDF, se veut toutefois plus prudente : " Nous devons démontrer qu'en milieu tropical, le bilan carbone de nos barrages est positif. " Ce qui est loin d'être acquis. Des études ont montré que les réservoirs de barrage constituent, au moins dans les premières années de la mise en service, des sources importantes d'émissions de gaz à effet de serre en raison des rejets de méthane liés à la décomposition des végétaux submergés. Le président de la CGIB, Luis Berga, ne juge pas l'obstacle insurmontable : " Nous savons ce qu'il faut faire. Il existe des recommandations reconnues par la communauté internationale. Et aujourd'hui, aucun grand barrage ne trouve de financement s'il ne les respecte pas ", assure-t-il en plaidant pour que ces infrastructures soient reconnues comme des investissements prioritaires dans la stratégie d'adaptation au changement climatique.
POTENTIEL AFRICAIN
La requête n'est pas anodine. Si la Chine, assise sur ses centaines de milliards de dollars de réserves de change, peut se passer des financements internationaux pour assumer sa politique des grands barrages - à commencer par celui des Trois-Gorges -, ce n'est pas le cas de l'Afrique. Or le continent noir demeure un espace largement inexploité. Son potentiel hydroélectrique représente 13 % du total mondial mais seulement 8 % sont utilisés. Si trois des plus grands barrages mondiaux y ont été construits, ils sont réservés à l'irrigation. 70 % de la population est privée d'accès à l'énergie courante.
Lundi, à Paris, l'Union africaine, la CGIB et d'autres partenaires du monde de l'énergie ont signé une " déclaration mondiale en faveur des barrages et de l'hydroélectricité pour le développement durable de l'Afrique ". Derrière cette annonce pompeuse, les intentions sont claires : les grands barrages doivent redevenir un instrument du développement de ces pays.
" La saison sèche dure huit mois par an. Sans retenue d'eau pour développer l'irrigation qui, aujourd'hui, ne concerne que 7 % des terres arables, nous ne pourrons améliorer notre productivité. Et nous avons besoin d'électricité pour la conservation des récoltes ", plaide le ministre de l'agriculture du Burkina Faso, Abdoulaye Combary. Son pays va lancer les travaux du quatrième grand barrage du pays à Samendeni, sur le fleuve Mouhoun. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement et des pays arabes apportent l'essentiel des 180 millions de dollars que coûtera le projet. Le site avait été identifié en 1976, après la grande sécheresse au Sahel.
PHOTO - Reuters Pictures
Laurence Caramel
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