Le président de Taïwan de 2000 à 2008 a terminé son mandat en mai dans la débâcle et se retrouve face à la justice pour des affaires de corruption et blanchiment d'argent. Reportage spécial de Taïpei.
Plus dure sera la chute. « Je n'arrête pas de me dire que tout cela n'aurait jamais dû arriver. Chen Shui-bian a blessé tous les Taïwanais. Mon coeur me fait mal, mon coeur est brisé. » Ce dépit, l'ancienne vice-présidente de Taïwan, Annette Lu, alliée indéfectible pendant des années du président Chen Shui-bian, l'a lancé le 18 août, au lendemain de l'ouverture d'une enquête pour blanchiment visant la famille Chen. Il résume la façon dont s'est terminé le second mandat (2004-2008) du premier chef d'État de l'histoire contemporaine de l'île à être issu de la mouvance indépendantiste insulaire.
« La fin du régime de ce président, au départ si auréolé de tous les atouts - honnête, intelligent, démocrate -, a été une véritable débâcle », confie un observateur de la scène politique taïwanaise. Ancien avocat qui a lutté pendant des années contre le régime autoritaire, défendu des dissidents politiques et renforcé la démocratie à Taïwan durant son premier mandat, le président Chen aurait pu quitter la scène politique en mai avec la satisfaction du devoir accompli, la conscience tranquille, poursuivre sa carrière de politique dans l'opposition... Au contraire, depuis quatre mois, décrédibilisé, rejeté par son parti et ayant perdu son immunité présidentielle, il se débat dans l'oeil du cyclone de la justice.
Il y a deux ans déjà, il avait été désigné comme suspect dans une vaste enquête sur une autre affaire, le détournement de 345 000 € de fonds publics, mais il avait été épargné du fait de son immunité. Depuis la prise de fonction en mai dernier du nouveau président Ma Ying-jeou, candidat victorieux du parti Kuomintang (KMT), Chen est pourtant pris dans les filets, contraint de démissionner de son poste au parti : « C'est le coeur lourd que je présente mes excuses aux membres du DPP (Parti démocratique progressiste, indépendantiste, aujourd'hui dans l'opposition) et à ses militants. J'ai abandonné tout le monde et infligé des dégâts irréparables au parti. Ce n'était pas mon intention, mais j'ai commis des erreurs. En signe de repentir, mon épouse Wu Shu-chen et moi quittons le DPP. »
En lambeaux au lendemain de la défaite présidentielle en mars, le DPP allait d'ailleurs renvoyer Chen Shui-bian de ses rangs, mais, dans un ultime sursaut, les dirigeants du parti ont préféré le laisser démissionner. « Chen est parti maintenant. Cela nous a causé d'énormes problèmes, assure aujourd'hui Chen Wen-lin, directeur du Département des affaires internationales au sein du DPP, il doit se débrouiller avec la justice. Nous avons une nouvelle secrétaire générale, Mme Tsai, avocate, pleine de sang-froid, calme et rationnelle, afin de relever le parti. » Une façon de dire que l'ancien président avait été trop radical en menaçant sans cesse de proclamer l'indépendance de Taïwan, ce qui aurait provoqué une réaction militaire catastrophique de la part de la Chine continentale.
« Moi qui me sens pourtant très «taïwanais» et très proche du DPP, déclare l'avocat Ching Huang-chih, je dois dire que le bilan de Chen Shui-bian m'a déçu : sa politique de «taïwanisation» à outrance, les rumeurs de corruption et le bilan économique en demi-teinte... Il a perdu le sens des réalités, s'est éloigné de la vie quotidienne des gens, prisonnier de sa propre ambition. »
L'ancien président dément les allégations de blanchiment d'argent, mais a admis que son épouse avait transféré à l'étranger des millions de dollars issus de ses fonds de campagne. Très isolé désormais à Taïpei, quasi abandonné, il continue de faire des tournées politiques dans le sud du pays, dans son fief de Kaoshiung. « Il ne veut pas abandonner la politique, assure un journaliste politique taïwanais. Sa femme endossera les erreurs pour lui permettre de rejouer un rôle important dans les années à venir. »
Le 15 août 2008, Chen Shui-bian démissionne du DPP
Six mois après sa défaite à l'élection présidentielle et trois mois après la prise de fonction du nouveau président Ma Ying-jeou (du parti Kuomintang, KMT), l'ancien président de Taïwan, Chen Shui-bian, quitte la tête du Parti démocratique progressiste (DPP). Élu pour la première fois président de Taïwan en 2000, il a dans un premier temps renforcé la souveraineté du pays, mais terminé son second mandat dans la disgrâce générale, son parti n'obtenant que 43 % des suffrages à la présidentielle de mars 2008, contre 57 % pour le KMT.
PHOTO - Reuters
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