dimanche 7 décembre 2008

INTERVIEW - «Pékin peut porter des coups sévères» - Jean-François Huchet

Libération, no. 8581 - Evénement, samedi, 6 décembre 2008, p. 3

Jean-François Huchet, directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine à Hongkong, analyse le raidissement de Pékin envers la France.

Les menaces de rétorsion contre la France annoncées par Pékin sont-elles réelles ?

Elles pourraient faire mal de façon visible et rapide. Le commerce extérieur de la France en Chine est axé sur des gros contrats et de grosses entreprises. Les Allemands, qui ont déjà subi des mesures punitives du même genre lors de la visite du dalaï-lama à la Berlin, travaillent beaucoup plus avec les PME. Il est plus difficile pour les Chinois d'agir contre eux. Des baisses ou des annulations de contrats avec la France, c'est très possible, car c'est l'Etat qui décide de construire un métro ou des lignes de chemin de fer. On a déjà assisté à des épisodes semblables lors de la vente des frégates par la France à Taïwan, en 1992. A court terme, cela peut porter des coups sévères.

Peut-on s'attendre à une réaction européenne ?

L'attitude actuelle de la Chine est très mal perçue au niveau européen, on peut donc imaginer que commence une partie de ping-pong et que soient prises des mesures protectionnistes. L'exaspération européenne à cause du Tibet et du dalaï-lama peut aussi réactiver des problèmes anciens et non réglés, comme la propriété intellectuelle, les déficits commerciaux, la sécurité alimentaire ou l'accès difficile au marché chinois des produits européens. Bruxelles a déjà annoncé de nouvelles taxes sur certaines entreprises qui produisent des boulons pour l'industrie automobile. Il sera intéressant de voir si c'est le début d'une politique protectionniste.

Croyez-vous à un boycottage des produits français ?

Si les mesures de rétorsion se précisent, cela ne prendra pas cette forme. Un boycottage ciblé sur la France serait un signal très défavorable, l'Europe se sentirait stigmatisée et il y aurait un retour de bâton sûrement assez fort. La Chine ne peut pas se permettre cela aujourd'hui. Le contexte n'est pas le même qu'un printemps, lors de la campagne contre Carrefour. Il s'agissait d'un message nationaliste et politique envoyé à la France. Cette campagne n'avait d'ailleurs été suivie que de peu d'effets.

La crise aidant, assiste-t-on à un repli de la Chine ?

La Chine a beaucoup trop besoin de l'économie mondiale aujourd'hui. Il faut qu'elle maintienne des relations commerciales extérieures, trop d'indicateurs sont au rouge pour qu'elle se replie sur un modèle de croissance endogène. Pékin a besoin d'une forte croissance et le marché intérieur chinois ne suffira pas. Les ménages pratiquent une épargne de protection très forte en raison des insuffisances du système social ou éducatif; leur confiance ne va pas apparaître du jour au lendemain. La Chine doit surtout apaiser les tensions sociales qui surgissent. Elle a plus que jamais besoin du reste du monde.

Recueilli par PASCALE NIVELLE (à Pékin)

PHOTO - Kong Quan, ambassadeur chinois à Paris présente ses lettres de créance le 22 avril 2008. REUTERS

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