Quel que soit l'état de santé de Kim Jong-il, 66 ans, son absence ces derniers mois aux cérémonies officielles rappelle une réalité : comme tout homme, il est mortel. Son éventuelle incapacité à gouverner ou sa disparition sont des sujets forclos en République populaire démocratique de Corée (RPDC). Aucune information n'a filtré sur sa santé, mais l'agence de presse officielle KCNA a diffusé, le 16 décembre, des photos du leader pour démentir les rumeurs sur sa maladie. Les experts de la RPDC à Séoul, qui explorent les arcanes du régime, admettent qu'ils savent peu de chose sur l'état de santé de « Soleil du XXIe siècle » et sur la formule de transfert de pouvoir en cas d'incapacité de sa part à gouverner.
« Les Chinois connaissent son état de santé mais même eux n'ont qu'une vague i dée du processus de succession s'il disparaissait », commente Andreï Lankov, professeur associé à l'université Kookmin à Séoul et spécialiste de la RPDC. Une incertitude d'autant plus pesante que la Corée du Nord dispose d'armes de destruction massive et qu'une éventuelle instabilité intérieure pourrait accroître les risques de prolifération horizontale. Une préoccupation qui explique que Séoul et Washington se sont efforcés de dédramatiser la question de l'état de santé de M. Kim.
Le raidissement de Pyongyang à l'égard de la Corée du Sud depuis la mi-novembre, après le bras de fer avec les Etats-Unis au cours de l'été, incite à penser qu'il n'y a pas de vacance du pouvoir. « Il est peu vraisemblable que le régime se soit lancé dans cette nouvelle phase de tension sans Kim Jong-il aux commandes », fait valoir Paik Haksoon, chercheur à l'Institut Sejong. Ces « mouli nets », ajoute-t-il, montrent indirectement que M. Kim « est toujours en état de décider ». « Une implosion du régime n'est pas à l'ordre du jour », estime le politologue Moon Chung-in de l'université Yonsei. « Même affaibli, Kim Jong-il peut continuer à gouverner comme Mao à la fin de sa vie », commente Jeong Se-hyun, ancien ministre (centre gauche) de l'unification. « Eventuelle ment, poursuit-il, un de ses fils peut deven ir le sym bole de la continuité, mais il n'aura pas l'autorité du père. »
Les analystes à Séoul jugent peu probable qu'une succession dynastique, comme celle de Kim Il-sung par Kim Jong-il, se reproduise. Aucun de ses trois fils (de deux femmes différentes) ne semble présenter les capacités requises. Deux sont trop jeunes et tous ont été éduqués à l'étranger : « Ils n'ont pas l'ascendant suffisant dans le parti et dans l'armée pour prendre les rênes du pouvoir », juge Ryoo Kihl-jae, politologue à l'Université des études nord-coréennes à Séoul. Comme la plupart des experts de la RPDC, il pense qu'en cas d'incapacité ou de décès de M. Kim, se mettra en place une direction collégiale. La Commission nationale de défense, organe suprême de l'Etat dans la Constitution de 1998, « continuera à exerce r le pou voir avec une figure symbolique représentant l'Etat », prévoit-il. Dans un second temps, une direction formée de civils et de militaires se mettra en place. Peu de changements sont à attendre dans les orientations politiques.
Parmi les personnalités qui pourraient exercer une influence, les experts sud-coréens écartent l'idée que la compagne actuelle de Kim Jong-il, Kim Ok (45 ans), qui fut sa secrétaire, pèse d'un grand poids. Son « influence tient à sa relation personnelle avec Kim Jong-il », avance Koh Yu-hwan, spécialiste de la RPDC à l'université Dongguk à Séoul : « En cas de disparition de celui-ci, el le risque de la perdre. » D'autres experts voient en elle une figure disposant d'un pouvoir réel autour de laquelle se cristalliserait une faction.
LES ATOUTS DE CHANG SUNG-TAEK
Les avis sont moins partagés sur le beau-frère de M. Kim, Chang Sung-taek (63 ans). « Il a trois atouts, estime Ryoo Kihl-jae, sa parenté avec la famille Kim, son ascendant sur le Parti du travail et ses liens avec l'armée : son frère est général, commandant de la garnison de Pyongyang. » « C'est l'homme qui peut le mieux concilier les intérêts de l'armée et du parti et il paraît vraisemblable que Kim Jong-il affaibli a recours à lui », ajoute Koh Yu-hwan. Technocrate, ayant étudié à Moscou, au fait de l'étranger (il est allé en Corée du Sud), Chang Sung-taek a retrouvé des fonctions importantes - la haute main sur les services de sécurité - après son limogeage en 2003. Depuis son retour, en 2006, il veut éradiquer la corruption.
Le développement d'une économie parallèle sur les cendres de l'économie planifiée a favorisé la corruption et entamé le contrôle du régime. Par cette tentative de reprise en main, celui-ci veut éviter que le pays ne sombre dans l'« illégalisme » de la Russie de Boris Eltsine au début des années 1990. Chang Sung-taek paraît devenu, de fait, le « numéro deux » du régime, en relayant les décisions validées par Kim Jong-il. Ses fonctions officielles sont moins déterminantes que ses liens avec le dirigeant. Le régime est dictatorial mais il n'a jamais été celui d'un homme seul : Kim Jong-il délègue au sein du cercle rapproché de ses collaborateurs. Dans ce cercle rapproché, Chang Sung-taek a une place privilégiée en raison de sa parenté avec M. Kim et il serait vraisemblablement la figure prépondérante d'une direction collégiale.
Ces scénarios comportent des inconnues. En dépit des évolutions sociales entraînées par l'émergence d'une économie de marché « par défaut », le régime tient toujours solidement en main le pays. Mais, « à la disparition de Kim Jong-il, la population pourrait être moins disposée à accepter les sacrifices qu'elle endure actuelle ment », estime Lee Young-il, président de l'Association culturelle Chine-Corée qui mène des activités humanitaires en RPDC. Un flottement du pouvoir pourrait aussi réveiller des appétits au sein de l'élite.
La communauté internationale n'est guère préparée à l'éventualité d'une instabilité en RPDC et elle s'en remettrait vraisemblablement à la Chine pour y faire face. Bien que Pékin soutienne le régime nord-coréen, les rapports entre les deux « pays frères » sont loin d'êtres amènes. Il existe en RPDC un ressentiment diffus à l'égard des Chinois qui profitent de ses faiblesses pour accaparer ses richesses. Pour M. Lankov, « une intervention de la Chine, sous une forme ou une autre, susc itera de fortes réactions nationalistes en RPDC ». « Quelle que soit la succession, si l'équipe au pouvoir contrôle le pays, la Chine s'en satisfera, ajoute-t-il. Si c'est le chaos, avec un afflux de réfugié s à ses por tes, elle a les moyens d'intervenir. » La Chine a quelque 100 000 hommes aux frontières.
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