«C'est le jour des droits de l'homme, mais cela n'existe pas en Chine. Je veux ma terre, je veux manger.» La scène, inhabituelle, se passait hier à Pékin. A genoux devant le ministère des Affaires étrangères, au milieu d'une vingtaine d'autres, Yang Guiyin a raconté l'expropriation de sa maison du Shanxi, trois séjours en camp de travail, des coups et des années de combat pour obtenir justice. Autour, certains brandissaient la Constitution chinoise, d'autres des photos de parents disparus. Tous réclamaient le respect des droits de l'homme. Une demi-heure plus tard, ils étaient embarqués dans un bus, pour une destination inconnue.
Répression. Les plus pauvres, et aussi les intellectuels chinois, ont voulu célébrer le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mardi, plusieurs centaines d'avocats, écrivains ou artistes ont signé une «Charte 08», lancée par deux figures du printemps de Tiananmen, Liu Xiaobo et Zhang Zhuhua. Le premier, 53 ans, ancien professeur de philosophie à l'université de Pékin, a passé vingt mois en prison pour avoir rejoint le mouvement des étudiants en 1989. Il vit sous surveillance depuis vingt ans, interdit d'enseigner. Zhang Zhuhua avait quitté la Ligue de la jeunesse communiste pour protester contre la répression, qui avait fait des centaines de morts.
La Charte 08 réclame la fin du parti unique, la liberté d'association, de religion et une amélioration des droits de l'homme et de la démocratie. «Rien dans ce document ne s'oppose à la Constitution chinoise, explique Mo Shaoping, un avocat signataire. Il reprend les idées et les valeurs de la Déclaration universelle.»
Lundi soir, Zhang Zhuhua a été interpellé à son domicile. Les policiers ont fouillé son appartement, saisi son ordinateur, ses livres et ses carnets d'adresse. Il a été emmené dans un commissariat pour y être interrogé sur la Charte 08. Les policiers l'ont relâché au bout de douze heures. «Je leur ai dit que cette arrestation aurait beaucoup de répercussions et donnerait une mauvaise image, a confié Zhang au journal hongkongais South China Morning Post.Mais ils ont répondu qu'ils s'en fichaient.» Liu Xiaobo, l'autre rédacteur de la charte, a lui aussi été arrêté par une dizaine de policiers. Sa femme, Liu Xia, placée sous surveillance, était sans nouvelles hier matin. Interrogé sur ces arrestations, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Liu Jianchao, a assuré qu'il n'était pas courant. Et qu'il était «sceptique» : «La liberté d'expression est inscrite dans la Constitution chinoise», a-t-il déclaré. Selon le groupe Chinese Rights Defenders, une dizaine d'autres activistes signataires de la charte auraient été arrêtés en province ces derniers jours.
Ironique. Le gouvernement chinois a, lui aussi, célébré l'anniversaire hier, en publiant sur le fil de l'agence Chine Nouvelle une interview «exclusive» de Wang Chen, directeur de l'information au Conseil d'Etat. Celui-ci a parlé de «progrès historiques» en matière de droits de l'homme depuis trente ans, tout en reconnaissant qu'il restait «beaucoup de problèmes et difficultés» tels que les inégalités sociales ou la faiblesse des structures politiques.
Sur Internet, ses déclarations ont déclenché des records de connexions et de commentaires, souvent sur le mode ironique. «Oui, c'est la meilleure période, on n'est pas loin de la Corée du Nord, continuons nos efforts», grince un internaute sur le forum de discussion Tianya. «Le gouvernement explique que le premier droit de l'homme en Chine, avec une énorme population, est d'être nourri. Dans ce cas, les cochons y ont droit eux aussi», écrit un autre, qui s'étonne que l'interview n'ait pas été publiée «dans la page humour». Pour un commentateur, «90 % des paysans ne connaissent pas les mots "droits de l'homme".» Les réactions sur Internet, seul espace d'expression, sont de plus en plus virulentes depuis la fin des JO. Le succès de ces derniers, fruit d'un énorme investissement, a été balayé par le scandale du lait contaminé et les premiers effets de la crise économique.
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