mercredi 3 décembre 2008

Quand Pékin joue la baisse du yuan - Dominique Bari

l'Humanité - Monde, jeudi, 4 décembre 2008, p. 15

Chine . Pour tenter de contrer la chute sensible des exportations, les autorités laissent filer le cours de leur monnaie, ce qui alimente les tensions avec Washington.

Après trois ans d'appréciation continue, la monnaie chinoise, qui ne se renforçait plus depuis juillet face au dollar, a accusé, ces trois derniers jours, un brusque accès de faiblesse face au billet vert. Lundi et mardi, la Banque centrale a fixé un cours pivot en baisse, tandis que le yuan, ou renminbi, tombait dans les échanges au maximum de sa limite quotidienne autorisée. Il devait remonter légèrement mercredi, pour retrouver son niveau de lundi, alors que le secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, est attendu à Pékin pour le cinquième cycle du dialogue économique stratégique Chine-États-Unis, qui doit se tenir aujourd'hui et demain.

Le yuan est sous contrôle de l'État

Du fait de sa non-convertibilité, le yuan est sous contrôle de l'État, autant dire que tout mouvement de la devise reste comme un signal politique. Cette dépréciation, qui tend à redonner un souffle aux exportations chinoises, est dans la droite ligne des déclarations de Hu Jintao devant la direction du Parti communiste, réunie samedi, à Pékin. Le président chinois a estimé que l'économie nationale est en train de perdre son avantage concurrentiel en raison de la crise financière mondiale, rapportait dimanche la presse officielle. « La concurrence mondiale s'intensifie et les pressions protectionnistes s'accroissent », a-t-il déclaré.

En octobre, la hausse des exportations chinoises a ralenti, à 19,2 % contre 21,5 % en septembre. « La crise financière mondiale continue de s'étendre, les conditions extérieures auxquelles doit faire face notre économie deviennent plus compliquées », a poursuivi le chef de l'État. La semaine dernière, la Banque mondiale a indiqué qu'elle s'attendait à 9,4 % de progression pour l'économie chinoise cette année, et 7,5 % « seulement » en 2009, soit son rythme le plus lent en dix-neuf ans. Des chiffres revus par Pékin, qui affirme que la croissance chinoise serait de 10 % en 2009, malgré la crise.

Le gouvernement compte sur les effets du plan de relance de 460 milliards d'euros annoncé il y a trois semaines pour développer la demande intérieure, via une hausse du pouvoir d'achat et de meilleures protections sociales dans les zones rurales pour compenser les pertes des exportations. Mais ces mesures donneront des effets à long terme. Pour le moment, l'économie chinoise est directement frappée par le ralentissement de la demande des États-Unis et de l'UE. D'où les fermetures en cascade d'entreprises chinoises tournées vers l'exportation, d'où la détermination de Pékin à agir « dès que possible » pour soutenir ces mêmes exportations, d'où la dévaluation du yuan.

Pour de nombreux analystes, le glissement du yuan est « intervenu à un moment intéressant, juste avant le dialogue économique stratégique (DES) sino-américain », consacré précisément aux différends bilatéraux, parmi lesquels, en bonne place, la valeur de la monnaie chinoise. Les États-Unis figurent parmi les plus virulents critiques de ce qu'ils estiment être un yuan sous-évalué donnant un avantage concurrentiel aux exportations chinoises qui se traduit en déficit commercial. Ce dernier a atteint, en octobre, 21,88 milliards d'euros, soit le plus fort déficit commercial jamais enregistré en un mois par les États-Unis avec un seul pays.

Relations délicates sino-américaines

Autant dire que le moment est délicat entre Pékin et Washington, poussés chacun dans la défense de ses intérêts, dans la limite néanmoins de l'interdépendance de leurs économies. La Chine exporte beaucoup vers le marché américain mais elle recycle ses excédents en dollars (1 900 milliards). Elle est ainsi le deuxième pays détenteur d'obligations du Trésor américain, derrière le Japon. Les États-Unis redoutent que faute de rentrées nouvelles, elle soit tentée de les vendre pour financer ses investissements en infrastructures. « Pousser pour une appréciation aujourd'hui serait un geste perdant-perdant à la fois pour la Chine et les États-Unis », avertit l'universitaire chinois Zhou Shijian, cité mercredi par le China Daily. Les débats sino-américains promettent d'être très serrés à l'heure où les démocrates - qui ont tendance à se montrer plus durs sur ces questions vis-à-vis de la Chine - vont contrôler Maison-Blanche et Congrès.

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