LE MONDE ENTIER a salué la volonté du nouveau président des Etats-Unis de rompre avec les pulsions bellicistes de son prédécesseur. C'est pourtant par une déclaration de guerre adressée à Pékin que, sur le plan monétaire, Barack Obama a inauguré son mandat.
Elle a pris la forme d'une réponse écrite du nouveau secrétaire au Trésor, Tim Geithner, à une question que lui avait adressée la Commission des finances du Sénat. " Le président Obama - conforté par les conclusions de nombreux économistes - pense que la Chine manipule sa monnaie, a-t-il expliqué. Washington utilisera tous les moyens diplomatiques pour convaincre Pékin de réformer son approche des taux de change. "
La réponse de Pékin n'a pas tardé. " Le gouvernement chinois n'a jamais eu recours à une supposée manipulation de devises pour engranger des bénéfices en commerce international, a affirmé le ministère chinois du commerce dans un communiqué publié vendredi 23 janvier. Dans une situation où l'impact de la crise mondiale continue de s'étendre, tous les pays devraient renforcer la coopération et affronter ensemble les défis. "
La Maison Blanche s'était jusqu'à présent toujours gardée d'utiliser le terme de " manipulation " à propos de la façon particulière des Chinois de gérer la parité de leur monnaie. Un rapport officiel publié début 2006 par le Trésor américain avait failli le mentionner, mais in extremis, le mot en avait été retiré. Avec l'arrivée d'Henry Paulson au Trésor, les relations monétaires entre Pékin et Washington s'étaient même progressivement réchauffées. Grand connaisseur - et admirateur - de la Chine, M. Paulson avait, malgré la pression des parlementaires américains, privilégié la méthode douce et accepté le principe d'une réévaluation extrêmement progressive et lente du yuan.
A l'évidence, son successeur est au contraire un adepte de la méthode forte. Aux yeux de la nouvelle administration américaine, tous les moyens doivent être utilisés pour tenter de relancer une économie ravagée par la crise et essayer de stopper l'hémorragie d'emplois aux Etats-Unis. Même celui d'une certaine forme de protectionnisme monétaire.
UNE STRATÉGIE RISQUÉE
Les risques d'une telle stratégie de confrontation avec la Chine sont tout aussi connus que les raisons qui la motivent. Le premier est d'affaiblir un peu plus encore une économie chinoise dont le ralentissement semble prendre des proportions inquiétantes.
Le produit intérieur brut (PIB) n'a progressé que de 6,8 %, sur un an, au quatrième trimestre 2008, ce qui, à l'échelle de la Chine, prend presque des allures de récession, avec la menace d'une explosion sociale dans le pays. Dès lors, les Etats-Unis peuvent-ils se permettre de ruiner leur banquier ?
La banque centrale de Chine est devenue depuis l'automne, devant le Japon, le premier détenteur de bons du Trésor américains, avec un stock aujourd'hui supérieur à 700 milliards de dollars (545 milliards d'euros). A force de trop les titiller sur les taux de change, les Chinois pourraient finir par riposter en décidant de boycotter les prochaines adjudications du Trésor américain. Il s'ensuivrait une envolée des taux d'intérêt à long terme américain, dont l'effet serait d'aggraver la récession aux Etats-Unis. La Maison Blanche doit tenir compte du fait que la Chine possède là une arme de destruction massive.
Mais ce n'est pas seulement un conflit monétaire bilatéral sino-américain qu'il faut redouter, mais bien une guerre des changes mondiale. La banque centrale russe (BCR) a annoncé jeudi une dévaluation de 10 % du rouble qui a déjà perdu près du quart de sa valeur en deux mois. Elle a promis qu'il s'agirait de l'ultime réajustement. Jusqu'au prochain, sans doute, lorsqu'une nouvelle détérioration de la situation économique en Russie le rendra inévitable.
La livre sterling, enfin, est tombée vendredi à son plus bas niveau depuis vingt-quatre ans face au dollar, touchant 1,3503 dollar, après l'annonce d'une contraction de 1,5 % du PIB au quatrième trimestre. Sans doute l'affaiblissement de la livre est-il de nature à stimuler les exportations britanniques, et donc, dans cette mesure, constitue-t-il plutôt une bonne nouvelle pour le gouvernement de Gordon Brown, qui en manque cruellement en ce moment. Mais le risque existe d'une perte de contrôle totale de la situation et d'un effondrement du sterling, qui poserait des problèmes de financement de la dette publique difficiles à surmonter.
Pierre-Antoine Delhommais
PHOTO - Un vendeur tient un masque de Barack Obama à Pékin, janvier 2009
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