vendredi 23 janvier 2009

Pékin redoute un printemps chaud - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20056 - Le Figaro, jeudi, 22 janvier 2009, p. 8

Les dirigeants communistes multiplient les directives pour prévenir les « incidents de masse ».

C'EST de cette gare poussiéreuse et grouillante, par les neuf grandes voies ferrées qui partent en éventail vers toutes les provinces du pays, que se répand le mal qui pourrait menacer la stabilité de la Chine. Des centaines de milliers de travailleurs migrants se pressent aux guichets de Canton, frénésie compréhensible avant le Nouvel An chinois où 188 millions de voyageurs vont se croiser en tous sens. Sauf que cette année ne ressemble à aucune autre. Les temps dorés, ceux de la croissance à deux chiffres, sont terminés. Pour la première fois depuis sept ans, les exportations sont en baisse et, dans le Sud manufacturier, les entreprises ferment par milliers. Pour beaucoup de voyageurs, le billet retour sera de trop.

Le printemps chinois pourrait être chaud. Les dizaines de millions de travailleurs migrants constituent une vraie bombe à retardement. Sur 200 millions de « mingongs », 20 millions seraient déjà sur le pavé. Sur la grande esplanade bétonnée où des bus déversent des cohortes d'ouvriers, un groupe bivouaque autour de balanciers de fortune dont les paniers sont remplis de jouets et d'objets électroniques. Quatre hommes, trois femmes et des enfants qui dorment sur des nattes. Tous de la même ville de Tongren, dans le Guizhou. Ils sont venus ensemble, et ils repartent ensemble. « J'ai travaillé pendant six ans dans une usine de matériaux de construction, raconte Tian Rugang, j'ai gagné assez d'argent pour ouvrir un petit commerce près de chez moi, de ma famille. Si ça ne marche pas, je reviendrai... »

Lendemains douloureux

Quand la baisse de la demande mondiale a commencé à faire toussoter les régions exportatrices du Sud de la Chine, en novembre, des émeutes ont bien éclaté ici ou là. Mais les incendies ont vite été éteints par les gouvernements locaux qui ont mis la main à la poche pour régler des salaires non payés par des patrons hongkongais ayant filé à l'anglaise. Et puis, il y avait cette perspective du Nouvel An, qui faisait « avaler » la perte d'emploi. Les lendemains de fête risquent d'être douloureux. Et c'est dans les provinces de l'Hinterland chinois, où cette main-d'oeuvre se rapatrie, que les convulsions devraient être les plus violentes. L'heure de vérité va sonner après la mi-février, quand la période de vacances du Nouvel An chinois - qui tombe cette année le 26 janvier - sera terminée.

Les dirigeants communistes ne cachent plus leur inquiétude et multiplient les directives pour prévenir les « incidents de masse ». Côté maintien de l'ordre, les autorités provinciales ont reçu pour consigne de se préparer et le dispositif de sécurité a déjà été renforcé dans les gares. En amont, une circulaire leur demande de s'attaquer à la « tâche urgente » des travailleurs migrants privés d'emploi. Il leur est recommandé de veiller à ce que les salaires ou indemnités leur aient été versés, de créer des emplois et de proposer des formations. Le gouvernement demande aussi aux banques de faciliter les crédits pour la création de petites entreprises et aux administrations de simplifier les procédures. Dans le même esprit, les entreprises d'État doivent suspendre tout licenciement.






Inquiétude générale

Un rapport de l'Académie chinoise des sciences sociales (CASS) révèle que le chômage urbain a crû aux alentours de 9,4 %, le double du chiffre officiel. D'autres sources estiment qu'il pourrait atteindre 12 %, voire 14 % en 2009. Ce mardi, le ministre des Ressources humaines Yin Chengji a concédé publiquement que plus d'un demi-million de citadins chinois avaient perdu leur emploi au cours du dernier trimestre 2008, « du fait de l'impact de la crise économique mondiale ». Et les ouvriers ne sont pas les seuls touchés. Le même rapport de la CASS estime que le quart des 6,1 millions de futurs diplômés chinois pourraient avoir du mal à trouver un emploi l'année prochaine. Or, un million des diplômés de 2008 serait déjà le bec dans l'eau. Fait inhabituel, le premier ministre chinois s'est rendu à l'Université de Pékin juste avant Noël. « Étudiants, tranquillisez-vous, je vous prie, nous traitons en priorité le problème de l'emploi des diplômés », leur a solennellement déclaré Wen Jiabao.

Les étudiants avaient été à la pointe du mouvement démocratique du « printemps de Pékin ». Pour le pouvoir chinois, le pire scénario serait que les troubles se multiplient, fassent tache d'huile et se politisent, en cette année d'anniversaires sensibles dont les vingt ans de Tiananmen.

PHOTO - Des passagers se bousculent dans un train à Pékin en destination pour Chengdu, le 21 janvier 2009 / REUTERS

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1 commentaires:

Yanick Toutain a dit…

Bonjour
Je découvre, à l'instant, l'existence de votre blog.
Je viens de poster un commentaire sur le site du Figaro protestant contre la censure.
Je vous en fais copie :
Arnaud de la Grange nous annonce que "Pékin redoute un printemps social agité"
S'il faut mesurer le degré de crainte d'une crise sociale à l'ampleur de la censure pratiquée par les médias "officiels", après l'effacement de mon commentaire sur Zheng Hé par les responsables Internet du Figaro, on peut supposer que la France est au bord de l'explosion.
D'autant que le même commentaire se trouve toujours ...sur le site "Chine Information".
http://www.chine-informations.com/actualite/la-chine-a-t-elle-decouvert-lamerique_7415.html
Si le ridicule tuait, les censeurs du Figaro enrichiraient les fabriquants de pierres tombales.
Je serais curieux de savoir si la censure pratiquée par le Figaro sur cet anodin commentaire historique sur Zheng Hé
http://monsyte.blogspot.com/2009/01/chine-quand-le-figaro-evoque-la-lutte.html
a été validée par Arnaud de la Grange lui-même !
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J'ai déposé cette protestation sur mon blog.
http://monsyte.blogspot.com/2009/01/crise-sociale-et-censure-quand-le.html
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Pour le cas où mon commentaire sur Zheng Hé trouverait asile sur votre blog personnel, j'aurais grand plaisir à l'y déposer.
La lutte des strates transcendant la lutte des classes, la mémoire du grand Zheng Hé se réjouirait d'une telle présence.
Je vous salue.
PS : Le Figaro vous avait-il informé de l'effacement de ce commentaire sur Zheng Hé ?