C'est avec sérénité, mais aussi avec une once d'agacement que la maison Christie's a accueilli la décision d'avocats chinois d'engager une action en justice pour empêcher la mise aux enchères de deux pièces majeures de la collection d'art Bergé - Saint Laurent (mise en vente à Paris les 23, 24, et 25 février) qui, selon Pékin, auraient été volées à la Chine il y a un siècle et demi.
Sérénité parce que, déclare François de Ricqlès, vice-président de Christie's, " Pierre Bergé est propriétaire de plein droit de ces objets, sans aucune contestation possible ".
Agacement, parce que les Chinois ne peuvent, selon lui, l'ignorer. Ces deux bronzes, particulièrement réalistes - une tête de lapin et une tête de rat - de 30 et 40 cm de haut, ont été réalisés d'après les dessins du Père jésuite Giuseppe Castiglione pour la fontaine zodiacale du palais d'été de l'empereur Qianlong (1736-1795). Ils faisaient partie d'un ensemble de douze têtes, celles des animaux du calendrier chinois, par lesquelles l'eau jaillissait : d'abord, et successivement, de chaque tête, par période de deux heures ; puis, simultanément, des douze têtes sur le coup de midi. Un spectacle remarquable qui témoignait des caprices d'un empereur et de l'adresse des artistes missionnaires européens employés à son service. Mais une oeuvre dont la cour se désintéressa, les fontaines ayant été démantelées et les tuyaux fondus, avant même la mise à sac du palais par les troupes françaises et britanniques en 1860.
Longtemps dispersées, plusieurs têtes sont réapparues sur le marché il y a peu. La tête du cochon fut vendue par Sotheby's à New York en 1987 ; celle du tigre à Hongkong, en 2000. La tête du cheval, dernière en vente, fut acquise en 2007 par un milliardaire de Macao, Stanley Ho, qui en fit don au gouvernement chinois. Les têtes du lapin et du rat, présentées à Paris, ont été acquises par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent à la galerie Kugel, à Paris, assure Christie's. Elles figuraient auparavant dans la collection du marquis de Pomereu, et avant encore, dans la célèbre collection Jose Maria Sert y Badia.
Le galeriste Alexis Kugel ne souhaite guère commenter l'action des avocats chinois, qu'il qualifie de " polémique totalement artificielle qui ne repose sur aucun fondement légal ".
Christie's insiste, de son côté, sur le fait que tous les objets de la vente, y compris ces deux pièces qui figuraient jusqu'alors dans l'appartement de Pierre Bergé, " ont un historique de propriété clair et détaillé ", ainsi qu'un titre légal de propriété, un principe " de la plus grande importance " pour cette maison. Celle-ci se réjouirait néanmoins que, dans le jeu des enchères, les objets puissent revenir à leur source. Avis aux enchérisseurs chinois.
Annick Cojean
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