Daniel Zhou a toujours été attiré par le luxe, et il avait, dit-il, " un boulot de rêve pour un Chinois " : originaire du Jiangsu (Est), il travaillait depuis 2005 pour Louis Vuitton à Pékin, comme chargé de communication, puis comme directeur des opérations dans une boutique, à 6 000 yuans (642 euros) par mois.
En juillet, les ventes ne sont pas bonnes - les nouveaux riches regardent à deux fois avant d'acheter, dit-il - et son salaire tombe à 3 600 yuans. Le 15 octobre 2008, las d'engloutir sa paye dans son loyer, il démissionne : " J'étais confiant, je parle bien anglais, j'ai fait une bonne université et j'avais une expérience assez incroyable pour les Chinois. Depuis plus de deux mois, j'ai envoyé des CV sur Internet, rencontré des agences de chasseurs de tête et fait jouer toutes mes relations : rien à faire, je suis dans le pétrin. Soit on ne répond pas, soit on veut m'envoyer dans des petites villes, soit on me propose un tout petit salaire ", se plaint-il.
M. Zhou fait partie de cette nouvelle génération de jeunes urbains, pour qui voyager, succomber aux dernières modes vestimentaires et acquérir un appartement étaient devenus des objectifs réalisables à plus ou moins court terme. Pour eux, c'est la douche froide.
En quelques semaines, la perspective d'une crise économique brutale fait souffler un vent de panique sur l'emploi en Chine et inquiète aussi bien travailleurs migrants, étudiants, jeunes cadres employés de multinationales, gérants de petits commerces ou retraités.
Selon Zhang Chewei, chercheur de l'Académie des sciences sociales de Pékin cité par le China Economic Weekly, le nombre de licenciements " dépasse les estimations initiales " : le taux de chômage urbain réel serait de 9,4 %, plus du double du taux officiel.
" La situation de l'emploi est extrêmement sombre ", prévenait, il y a quelques jours, le premier ministre Wen Jiabao lors d'une réunion du gouvernement consacrée aux étudiants. Leur trouver un emploi doit être " une priorité ", a déclaré le premier ministre. 6,1 millions d'étudiants seront diplômés en juillet, mais 1 million de diplômés de 2008 seraient encore au chômage.
VIRUS DE LA CRISE AMÉRICAINE
Les étudiants seront " encouragés " à travailler dans les provinces plus pauvres de l'ouest, en manque de cadres, mais aussi à rejoindre des programmes de recherche. Le nombre de diplômés augmente plus vite que les emplois qualifiés et chaque nouvelle vague de jeunes sur le marché du travail conduit à des ajustements inattendus : Le Quotidien de Guangzhou (sud-est) rapportait qu'une agence qui propose les services de nounous et de femmes de ménage avait reçu des milliers de candidatures étudiantes.
Le virus de la crise américaine gagne la Chine en remontant la sacro-sainte " supply chain ", la chaîne d'approvisionnement entre l'atelier du monde et ses marchés outre-mer : l'américain KB Toys, dont la faillite en décembre 2008 conduira à la fermeture de ses 461 magasins aux Etats-Unis, aurait laissé quelque 10 millions de dollars (7,3 millions d'euros) d'impayés auprès d'une centaine d'usines du Guangdong (sud-est) détenues par des capitaux de Hongkong et employant près de 100 000 ouvriers. Une quarantaine d'entre elles se sont regroupées pour faire valoir leurs intérêts auprès du groupe hongkongais Li & Fung.
CRAINTES DE DÉSTABILISATION
Berceau des exportations chinoises, le Guangdong aurait vu 600 000 travailleurs migrants rentrer chez eux en 2008, selon Huang Yunlong, son vice-gouverneur. Sur l'ensemble du pays, le ministère de l'emploi et des affaires sociales estime que 10 millions de migrants sur les 130 millions estimés seraient retournés dans les zones rurales en 2008, faute d'emploi dans les provinces côtières.
Le chiffre, qui est à prendre avec des pincettes, a ravivé les craintes de déstabilisation : en 2009, la Chine " connaîtra sans aucun doute une recrudescence d'incidents de masse " - euphémisme pour désigner les manifestations et les émeutes -, ont prévenu les chefs locaux de bureau de l'agence Xinhua, dans une analyse consacrée à la situation sociale explosive par le magazine de l'agence, Outlook.
Nombre des travailleurs migrants ont pris leur parti du ralentissement en rentrant de manière anticipée pour les fêtes de fin d'année. A la gare routière de Liuli Qiao à Pékin, Li, qui cherche un billet de bus bon marché pour rentrer à Fuyang, dans l'Anhui, n'a plus assez de contrats en raison, dit-il, de " weiji jingi ", la " crise économique ".
Il habitait dans un de ces garnis aménagés dans un sous-sol, où il partage une chambre pour 150 yuans par mois. L'équipe d'ouvriers à laquelle il appartient fait des aménagements dans des appartements. Il travaille depuis 2005 à Pékin, a économisé assez pour construire un deuxième étage à sa maison à Fuyang. Il ne reviendra pas à Pékin.
Mais, un jour ou l'autre, il faudra bien, dit-il, qu'il reparte travailler à l'extérieur. Sa terre, trop petite, pas assez fertile pour une famille de quatre, leur permet tout juste de survivre. Sa dernière fille, qui est en dehors du quota de l'enfant unique, n'est pas " déclarée ". Il devra beaucoup dépenser pour la régulariser et lui permettre d'aller à l'école.
Brice Pedroletti
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