mardi 17 février 2009

En Chine, on sacrifie le progrès social à la crise - Qiao Xinsheng

Courrier international, no. 954 - Economie, jeudi, 12 février 2009, p. 51

Il y a un an, une loi relativement favorable aux travailleurs est entrée en vigueur. Mais les dirigeants sont aujourd'hui tentés de revenir en arrière.

Le printemps 2009 s'annonce particulièrement sombre. La crise financière mondiale éclabousse plusieurs régions de Chine. Les entreprises exportatrices des zones côtières du Sud-Est faisant faillite, nombre de paysans venus travailler en ville ont été contraints de rentrer dans leur famille plus tôt que prévu [avant les congés annuels du nouvel an chinois]. Face à cette situation, certains dirigeants locaux de ces régions proposent ouvertement un ajournement de l'application de la loi sur les contrats de travail, afin de réduire la pression qui pèse sur l'industrie et de s'assurer que le rythme de la croissance économique locale ne fléchira pas. En réponse à cela, certains départements de l'administration et du Parti ont demandé aux organes judiciaires de prendre en compte les besoins d'exploitation des entreprises lorsqu'ils ont à juger des dirigeants ayant enfreint la loi et d'éviter autant que possible de prendre des mesures coercitives qui menaceraient le bon fonctionnement des sociétés. C'est animés en apparence d'une même bienveillance envers les employeurs et envers les employés, dans un souci de stimuler l'économie, que les fonctionnaires locaux exhortent à plus de clémence les organismes chargés de rendre la justice et d'appliquer la loi. Mais, à y regarder de plus près, on constate qu'ils font subir une soustraction aux travailleurs, dont ils réduisent les droits, tandis qu'ils accordent un plus aux entreprises et à leurs dirigeants.

Notre économie traverse une passe difficile. Les différentes catégories sociales doivent se serrer les coudes dans ces moments pénibles. Si, sous prétexte de développement économique, l'exécutif et les organes judiciaires font preuve de partialité au profit des détenteurs de capitaux, l'autorité de la loi sera réduite à néant et le développement économique risque d'être marqué de vives tensions.

Ces dernières années, la Chine a adopté une série de lois pour remédier à l'inégalité des revenus [qui n'a cessé de s'accentuer]. De nouvelles législations comme celle sur les contrats de travail ou les nouvelles dispositions du Code pénal [contre la corruption et l'abus de pouvoir, essentiellement] ont joué dans une certaine mesure un rôle de régulateur. Bien que ces lois posent encore des problèmes [leur application rencontre de fortes oppositions], leur publication et leur entrée en vigueur ont malgré tout posé des jalons pour l'orientation des réformes chinoises à venir. Si, au nom du développement économique, on les amende ou on suspend leur exécution pour un oui ou pour un non, on assistera à une aggravation du déséquilibre des mécanismes de répartition.

Les travailleurs constituent une catégorie sociale faible. Les droits que leur accorde la loi ne sont pas protégés, non pas parce qu'ils n'en ont pas conscience, mais parce qu'ils ne participent pas aux prises de décision. Si les travailleurs étaient suffisamment représentés à l'Assemblée nationale du peuple, si la législation prévoyait que les pouvoirs publics locaux doivent les consulter avant toute prise de décision, certains organismes de l'administration et du Parti n'agiraient pas avec une telle insolence.

Aussi, en cette période de grande remise à plat des intérêts au sein de la société, il faut absolument accélérer les réformes visant à mettre en place un régime politique démocratique, en limitant progressivement les droits des organismes exécutifs et judiciaires, et en incitant le personnel de ces organismes à accomplir sa mission dans le strict respect de la loi. Dans tous les pays du monde, on observe le phénomène suivant au cours du développement économique : le fossé entre riches et pauvres ne cesse de s'élargir ; les catégories sociales les plus faibles sont toujours lésées et ce sont toujours elles qui sont sacrifiées en premier. Si les réformes ne permettent pas de concrétiser le principe de la souveraineté du peuple, de protéger réellement les droits fondamentaux des citoyens sur le plan constitutionnel, elles entraîneront nécessairement des tensions de plus en plus nombreuses et finiront par conduire à des troubles sociaux. Faute d'un environnement exécutif et judiciaire juste, les détenteurs de capitaux ne pourront pas avoir l'esprit tranquille et les travailleurs risquent de tomber dans l'extrémisme.

* Professeur de droit à l'université Zhongnan Caijing Zhengfa Daxue de Wuhan.

Encadré(s) :

La loi

Entrée en application le 1er janvier 2008, la nouvelle loi sur les contrats de travail oblige les employeurs chinois et étrangers à passer des contrats écrits avec leurs employés. Ceux-ci sont à durée indéterminée si les salariés ont déjà effectué deux contrats à durée déterminée ou s'ils sont présents dans l'entreprise depuis dix ans. Elle prévoit également le versement d'indemnités en cas de licenciement, ainsi que l'établissement de conventions collectives. Le vote de cette loi a rencontré une forte opposition de la part de certains investisseurs étrangers, en particulier des chambres de commerce américaine et européennes à Shanghai. Les entreprises chinoises ont, dans un premier temps, licencié tout leur personnel, avant de leur faire signer un nouveau contrat afin de s'engager à moindres frais.

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