DIPLOMATIE L'affront « à l'irakienne » subi à Cambridge par le premier ministre Wen Jiabao passe mal dans un pays où l'on ne doit jamais « perdre la face ».
À CÔTÉ, les gros chahuts de la flamme olympique dans les rues de Paris feraient presque figure de péché véniel. À Londres, c'est au premier ministre chinois en personne qu'un manifestant s'en est pris. Lors d'un discours à l'université de Cambridge, Wen Jiabao a été la cible d'un « lancer de chaussure à l'irakienne », comme celui dont avait été victime George Bush à Bagdad. Le ministère chinois des Affaires étrangères a dénoncé hier un acte « ignoble » et fait part de son « fort mécontentement » au gouvernement britannique. Tout en ajoutant que les relations bilatérales ne pouvaient être altérées par ce mauvais pas. Le tireur, inculpé depuis, a été moins habile qu'à Bagdad puisque Wen Jiabao n'a pas eu à faire preuve de réflexes, la chaussure l'ayant manqué de plus d'un mètre. L'orateur est resté impassible, marquant juste une pause avant de qualifier l'acte de « méprisable ».
La presse chinoise a été discrète sur l'incident hier, avant que la télévision officielle finisse par en parler le soir. Peu de Chinois pourraient trouver des excuses au geste, mais dans un pays où la « face » conditionne les relations, cette insolente semelle peut avoir de pernicieux effets. Pékin tient à éviter toute désacralisation des hautes fonctions de la hiérarchie communiste, surtout en des temps incertains. Si les Chinois ont depuis longtemps l'habitude d'une contestation - parfois très violente - de l'ordre local, ils évitaient jusqu'à peu de s'attaquer de front au pouvoir central. Or, depuis quelque temps, on note une insolence de plus en plus hardie des internautes chinois, qui n'hésitent pas à railler ou blâmer la tête du Parti et de l'État. On a vu récemment, en réaction au discours d'Obama partiellement censuré par la presse chinoise des commentaires peu amènes pour le président Hu Jintao. Comme cette jeune femme qui se moquait de « sa langue de bois », à l'aune du « lyrisme » américain. Un autre faisait remarquer que la grande différence de style tenait surtout au fait que « l'un était élu, l'autre pas ». « Quand pourrons-nous élire notre Obama ? » demandait-il.
La France contournée
Non content de faire preuve d'un flegme de circonstance à Cambridge, le premier ministre a montré hier qu'il pouvait avoir un humour très British lui aussi. À des journalistes qui lui demandaient pourquoi la France était la grande absente de sa tournée européenne, Wen Jiabao a répondu avec une cruelle ironie : « J'ai en effet regardé une carte de l'Europe dans l'avion, et j'ai bien vu que mon trajet faisait le tour de la France... »
La raison de cet ostracisme ? « Nous savons tous bien pourquoi », a-t-il poursuivi, ajoutant cependant que le développement des relations entre la Chine et la France était dans le plus grand intérêt des deux pays. En relançant à son tour la chaussure dans le camp français : c'est à Paris qu'il revient de « rectifier son attitude et d'améliorer les relations entre les deux pays ».
Illustration(s) :
Manqué par la chaussure, Wen Jiabao est resté impassible, marquant juste une pause dans son discours avant de qualifier l'acte de « méprisable », lundi, à l'université de Cambridge.
Darren Staples/AP
De La Grange, Arnaud
© 2009 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire