mercredi 18 février 2009

LITTÉRATURE - Et si la Chine avait raté sa réforme économique ?

Les Echos, no. 20362 - International, jeudi, 12 février 2009, p. 7

En pleine crise de la croissance chinoise, Yasheng Huang, un chercheur du MIT, affirme que Pékin a mis en danger son développement sur le long terme en multipliant les mauvais choix stratégiques.

« Capitalism with chinese characteristics : Entrepreneurship and the State » par Yasheng Huang. Cambridge University Press.

A Davos, la semaine dernière, les officiels chinois ont de nouveau blâmé la responsabilité des Etats-Unis dans l'actuelle crise économique et loué, à l'inverse, leur propre modèle de gouvernance. Poussées par l'Occident à libéraliser leur économie, les autorités de Pékin assurent qu'elles ont eu raison de maintenir un strict contrôle sur leurs flux financiers, de protéger plusieurs secteurs industriels de la concurrence étrangère et d'entretenir la dominance d'entreprises d'Etat. En avançant prudemment dans la réforme, elles affirment avoir mis au jour une « troisième voie » chinoise entre l'économie de marché et un communisme dur. C'est une grave erreur, rétorque le chercheur du MIT Yasheng Huang dans son dernier livre (1).

Selon lui, Pékin aurait, en fait, raté sa transition vers le capitalisme et mis en danger, par des réformes erronées, la qualité de sa croissance à long terme. L'actuel ralentissement de la croissance, le drame des entreprises tournées vers l'export et le mal-être des campagnes seraient le fruit de ces erreurs.

Rejetant l'idée d'une libéralisation progressive du pays, Yasheng Huang assure que la Chine a, en fait, connu son plus grand dynamisme dans les années 1980 quand ses zones rurales ont connu une explosion de l'entrepreneuriat privé, un afflux de prêts bancaires et un début de droit à la propriété. Des centaines de milliers de petites sociétés ont vu le jour dans les secteurs de la manufacture ou des services. « La croissance du PIB s'est alors accompagnée d'une hausse rapide des revenus individuels et d'une amélioration de la répartition des richesses », écrit-il.

Peu de progrès sociaux

Au début des années 1990, cette mécanique aurait été cassée. Après la purge liée aux émeutes de Tiananmen, une nouvelle génération de leaders, emmenée par Jiang Zemin et Zhu Rongji, a pris le pouvoir et décidé de réorienter le modèle de développement du pays. Les deux hommes ont alors décidé de favoriser les zones urbaines, de multiplier les chantiers d'infrastructures, d'encourager les grandes entreprises d'Etat et d'attirer les dollars des grandes multinationales étrangères. A la campagne, les entreprises privées se sont retrouvées étouffées par le manque de crédit et la reprise en main des autorités locales.

Si le PIB a continué de s'élever spectaculairement dans les années 1990, son impact sur les progrès sociaux a alors été limité, analyse Yasheng Huang. Dans les zones rurales, où vivent encore 750 millions de personnes, des milliers d'hôpitaux et d'écoles ont dû fermer leurs portes. Dans les villes de la côte Est, une certaine richesse s'est accumulée autour des gratte-ciel, mais elle n'a pas permis l'éclosion de véritables multinationales privées. Les géants Lenovo, Haier, Sina ou Alibaba, dont le pays vante l'émergence sur la scène internationale, n'ont d'ailleurs réussi qu'en contournant la Chine pour aller se faire enregistrer légalement à Hong Kong, où ils ont levé l'essentiel de leurs capitaux. « Shanghai, qui fut il y a longtemps un berceau d'industriels, est aujourd'hui étrangement dépourvu d'entrepreneurs locaux », remarque le chercheur.

Changer de gouvernance

Affirmant que la stratégie des années 1990 a surtout fait prospérer des mastodontes publics peu efficaces, encouragé la corruption et retardé la lutte contre la pollution, l'économiste salue la volonté du président, Hu Jintao, et de son Premier ministre, Wen Jiabao, de libérer de nouveau l'activité dans les campagnes et de se concentrer sur la hausse de niveau de vie des individus. Il note toutefois que ce revirement peinera à être efficace tant qu'il restera contrôlé par une machine étatique lourde. Seul un profond changement de gouvernance permettra de générer une croissance durable, prévient-il.

YANN ROUSSEAU

Littérature

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