Des chercheurs chinois et américains appliquent une nouvelle technique de datation au sinanthrope chinois.
L'histoire réserve à certains fossiles un destin étonnant. Perdus dans les remous de l'histoire, activement recherchés, jamais retrouvés, ceux de l'Homme de Pékin continuent ainsi, presque un siècle après leur découverte, à alimenter la recherche. En témoignent les travaux publiés jeudi 12 mars dans la revue Nature, révisant drastiquement à la hausse l'âge du plus célèbre Homo erectus asiatique - parfois connu sous le nom de Sinanthropus pekinsis. Présumé vieux d'environ 500 000 ans, celui-ci serait en réalité âgé de plus de 780 000 ans.
Pour qui connaît les grandes lignes de leur histoire, la publication d'une réestimation de l'âge de ces restes peut étonner. Et pour cause : nul ne sait où ils se trouvent. Dans les années 1920, dans les grottes de Zhoukoudian, à quelques kilomètres au sud de Pékin, on exhume les fossiles d'une quarantaine d' Homo erectus et près de 17 000 outils de pierre. En 1941, dans Pékin occupée par l'armée japonaise, des caisses contenant les ossements sont chargées dans un train avec pour destination finale les Etats-Unis. Dans la confusion de la guerre, les caisses sont perdues. Elles ne seront pas retrouvées.
Comment, dès lors, réévaluer l'âge de l'Homme de Pékin ? Les chercheurs, chinois et américains, ont pour la première fois mis en oeuvre une technique de datation du quartz présent dans les couches sédimentaires accumulées. Selon leurs résultats, la première occupation du site remonte à 780 000 ans, pour s'achever voilà 400 000 ans. « Les représentants de cet Erectus asiatique sont donc demeurés presque 300 000 ans sur un même site, ce qui est considérable », analyse le paléontologue Jean-Jacques Jaeger (université de Poitiers).
En outre, ajoute-t-il, « ces nouvelles estimations rapprochent chronologiquement l'Homme de Pékin de l'Homme de Java, un autre Homo erectus daté de 700 000 à un million d'années ». Que peut-on en déduire ? Pour les paléoanthropologues Russel Ciochon et Arthur Bettis (université d'Iowa), le nouvel âge du sinanthrope de Pékin pourrait conduire à repenser la dispersion d' Homo erectus en Asie orientale.
Les premiers fossiles de cette espèce d'hominidé sont africains et remontent à deux millions d'années environ. « Des paléoanthropologues supposent que l'Erectus asiatique est issu d'un unique groupe qui s'est dispersé en une seule vague depuis une source unique en Afrique », écrivent les deux chercheurs dans un commentaire publié par Nature. La présence de deux Erectus presque contemporains, sur des sites d'Asie distants de 5 000 km et jadis séparés par une épaisse forêt, pourrait suggérer qu'en réalité deux migrations hors d'Afrique ont conduit un premier groupe, via la péninsule Arabique, vers Java et l'Insulinde. Un autre groupe d' Erectus - dont ferait partie l'Homme de Pékin - serait au contraire passé par le Nord : par l'Asie centrale et la Mongolie méridionale, avant d'arriver dans la Chine actuelle... Cette nouvelle technique de datation pourrait permettre de trancher les débats sur l'âge d'autres sites. « C'est une question très politique en Chine, où l'on considère volontiers les hominidés locaux comme des ancêtres nationaux », dit le paléoanthropologue Valéry Zeitoun (CNRS).
Or, selon la théorie dominante, tous les humains actuels sont les descendants d'Homo sapiens, sortis d'Afrique longtemps après Erectus, pour se disperser sur la planète et y remplacer les hominidés archaïques (Homo erectus en Asie, Homo neanderthalensis en Europe).
Les controverses sur les dates ne concernent pas seulement les plus hautes époques. Les datations publiées en 2007 dans la revue L'Anthropologie suggèrent ainsi une présence d'Homo sapiens en Chine il y a près de 100 000 ans. Et ce alors même que la génétique place son départ d'Afrique il y a 70 000 à 58 000 ans... !
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