jeudi 19 mars 2009

Les autorités chinoises soupçonnées de flirter avec le nationalisme économique

Les Echos, no. 20387 - Industrie, jeudi, 19 mars 2009, p. 20

Les observateurs étrangers s'interrogent sur les motivations réelles du rejet du projet d'acquisition du numéro un chinois des jus de fruits par Coca-Cola.

Depuis septembre dernier, tous les investisseurs étrangers basés en Chine guettaient l'évolution de la tentative d'achat de Huiyuan (PHOTO) par Coca-Cola. En cas de succès, l'opération aurait été célébrée comme la plus importante acquisition d'une entreprise chinoise jamais réussie par un groupe étranger, faisait figure de test et de l'ouverture des autorités de Pékin. Depuis l'éclatement de la crise économique mondiale, celles-ci se présentent comme les meilleurs avocats du libre marché.

Inquiets de la chute brutale de leurs exportations et de la méfiance grandissante dans plusieurs pays à l'égard des investissements massifs chinois, les plus hauts dirigeants du pays affirmaient encore ces derniers jours qu'ils condamneraient les politiques protectionnistes partout dans le monde. Et qu'ils veilleraient à la protection des intérêts des groupes étrangers sur le territoire. La décision du gouvernement de rejeter le projet d'acquisition de Coca-Cola a donc jeté un froid dans la communauté d'affaires étrangère, qui se met à douter de l'authenticité des engagements chinois. « C'est un très mauvais exemple. Cela va avoir un impact négatif sur l'investissement étranger », résume Michael Gu, du cabinet Allen and Overy de Pékin.

Des échecs à répétition

Découragées par l'intervention des autorités de Pékin dans un rapprochement amical, négocié sur un marché peu stratégique, entre une société américaine et Huiyuan, un groupe privé coté à Hong Kong et domicilié dans les îles Caïmans, d'autres sociétés étrangères pourraient décider d'abandonner leurs projets d'acquisitions. Les entrepreneurs craignent désormais que le droit sur la concurrence et sa toute nouvelle loi antimonopole, avancés par Pékin pour refuser l'acquisition, ne permettent au gouvernement de bloquer toutes les opérations jugées non acceptables pour des raisons légales ou autres. « Alors que les commentaires semblaient indiquer jusqu'ici qu'il n'y avait pas de problème de droit de la concurrence dans cette affaire, il va forcément y avoir une suspicion d'instrumentalisation de la loi », confirme Guillaume Rougier-Brierre, un associé du cabinet Gide Loyrette Nouel à Pékin.

S'il s'est efforcé de justifier légalement son refus, le gouvernement pourrait en réalité avoir cédé à la pression d'une partie de la population et de certains caciques du régime communiste qui s'opposent toujours catégoriquement à la vente de marques ou groupes chinois à des étrangers. Les déboires de Coca-Cola, qui font suite à l'échec d'autres tentatives de groupes étrangers, ne vont pas manquer de flatter les militants du nationalisme économique chinois qui bataillaient depuis septembre, sur Internet et dans la presse, contre l'opération.

A plus long terme, les experts notent toutefois que la décision de Pékin risque de se retourner contre les sociétés chinoises qui viennent justement de se lancer à l'assaut d'actifs étrangers - en Australie, Chinalco espère investir 19,5 milliards de dollars (14,9 milliards d'euros) dans Rio Tinto - et ont demandé à leurs partenaires d'être traitées avec « équité ».

YANN ROUSSEAU

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