Ce sont souvent d'anciens du FBI, des douanes ou de la police. De Shenzhen à Dubaï et de Hongkong au Paraguay, ils surveillent, remontent et démantèlent les filières de la contrefaçon.
LE 22 DÉCEMBRE dernier, après trois mois d'enquête, la Tokyo Metropolitan Police saisit 3 000 copies de sacs Vuitton et des milliers de fausses pilules de Viagra dans un entrepôt en banlieue de la capitale japonaise. Deux personnes sont arrêtées. L'opération a permis de décapiter la tête de pont d'une filière de contrefaçon qui importait au Japon des produits venant de Chine. Des enquêteurs sont maintenant en train de remonter la piste en Chine. Point de départ : en septembre, les douanes japonaises alertent Louis Vuitton sur des déclarations d'importations douteuses comportant des adresses fictives. Le malletier transmet immédiatement l'information à la police. Des individus sont mis sous surveillance pendant plusieurs semaines, jusqu'au coup de filet de décembre.
La contrefaçon pèse 5 à 7 % du commerce mondial, soit quelque 500 milliards d'euros par an. En France, plus de 5,4 millions d'articles ont été saisis l'an dernier par les Douanes, un record. Des vêtements griffés (23 % des saisies), des biens de consommation plus banals (rasoirs, piles, stylos...), des chaussures, des jouets, des bijoux, des lunettes, des parfums, des sacs à main, des pièces détachées automobiles, des médicaments, des boissons... Dans tous ces domaines, huit produits contrefaits sur dix sont fabriqués en Chine pour être écoulés dans le monde entier.
Chez LVMH, le leader mondial du luxe, maison mère de Louis Vuitton, la lutte contre ce phénomène qui ne connaît pas la crise emploie 200 personnes à temps plein - sans compter des bataillons de détectives, d'avocats et d'huissiers. Beaucoup de ces spécialistes maison sont des anciens des services de police, de gendarmerie ou des douanes. Ce qui permet à l'industriel de lutter contre les faussaires avec des gros bras qui connaissent la criminalité et facilite la coopération avec les services administratifs.
« Notre équipe couvre le monde entier. Dès que nous avons besoin de vérifier une information, nous pouvons le faire immédiatement, raconte Nathalie Moulle-Berteaux, directrice de la propriété intellectuelle chez Vuitton. Nous devons surveiller trois zones : la production, essentiellement la Chine, le transit (Moyen-Orient, Émirats) et la distribution, des États-Unis à l'Europe, en passant par le Japon. » L'efficacité de la lutte dépend beaucoup de la coopération des autorités policières et judiciaires des pays concernés. Aux États-Unis, Vuitton a quasiment réussi à éliminer les ventes de faux sacs à New York, Los Angeles et Miami, et s'attaque désormais au marché de San José, en Californie. À l'inverse, un importateur de 1 300 faux sacs et 100 ceintures arrêté récemment à Las Palmas, aux Canaries, avait déjà été condamné à quatre reprises sans que cela le dissuade de continuer.
Un million de pièces saisies
« Éradiquer la contrefaçon, ce serait présomptueux, résoudre des problèmes de contrefaçon, c'est ce que nous faisons », souligne avec modestie Marc Frisanco, ancien avocat, chargé de la lutte chez Cartier et les autres marques du groupe Richemont (Lancel, Van Cleef & Arpels, IWC, Panerai, Jaeger LeCoultre...). Le combat s'apparente à un travail de fourmi face à une pieuvre multiforme. « Nous devons nous adapter en permanence. Il y a un an, ce n'était pas la même chose qu'aujourd'hui et, dans un an, ce sera encore différent. » Quand on sait que seul 1 à 1,5 % des importations en France sont inspectées par les Douanes, on peut imaginer le potentiel.
Le travail des marques finit par payer à force de patience et d'obstination. Plutôt que de faire saisir la marchandise dès qu'elle apparaît sur un lieu de vente, au risque de la voir réapparaître le lendemain à cent mètres de là, il faut savoir « observer, comprendre qui fait quoi et agir quand vous avez analysé ce qu'il faut combattre », explique Marc Frisanco. Quand ses services de veille sur Internet ont repéré la même (fausse) montre en vente sur une vingtaine de sites Web américains, Cartier a touché le gros lot. Un million de pièces de 26 marques différentes saisies, un site Internet marchand baptisé Fakegifts fermé, son propriétaire condamné à deux ans de prison. Et, surtout, il a permis de démanteler du même coup un trafic qui, outre les sites Internet, alimentait depuis vingt ans les détaillants du quartier de Canal Street à New York. Des pièces détachées fabriquées en Chine étaient importées au compte-gouttes par des individus porteurs de mallettes avant d'être assemblées par des horlogers chinois clandestins dans des caves à New York.
Pour arriver à des résultats, il faut même parfois emprunter des voies détournées. Alors que Vuitton, Chanel, Prada et Burberry ont obtenu, fin 2005, la condamnation des propriétaires du célèbre Silk Market, immense galerie commerciale du faux, à Pékin, les contrefaçons de leurs marques n'en ont pas pour autant disparu. Cartier a préféré inverser l'approche. Plutôt que de lutter contre des moulins à vent (le marché est protégé par des responsables politiques), Marc Frisanco est allé discuter avec les propriétaires pour tenter de les convaincre de l'intérêt de développer leurs propres marques de bijouterie chinoise, plutôt que de copier éternellement celles des Occidentaux. Et cela a marché ! « Vous ne trouverez pas une fausse montre Cartier au Silk Market », assure le fin limier du groupe Richemont.
Personne en revanche n'a encore trouvé le moyen de s'attaquer à la zone franche de Triple Frontera, entre le Paraguay, l'Argentine et le Brésil, royaume de la corruption où des camions entiers de fausse marchandise peuvent sortir sans être inquiétés moyennant quelques poignées de dollars. Souvent lié à de grands réseaux de crime organisé, mafias voire, selon certains, des organisations terroristes, le business de la copie n'est pas un jeu d'enfants.
Des intermédiaires au look patibulaire
« C'est une chaîne mondiale, sur le principe du trafic de drogue, souligne Christian London, directeur juridique de Lacoste. Notre métier est dangereux : nos avocats se sont fait séquestrer plusieurs fois en Chine, molester en Amérique du Sud. On n'est plus dans l'artisanat mais dans de véritables industries avec des machines capables de produire des milliers d'étiquettes à la minute. » Pour lui, la crise économique risque même d'encourager la copie : « Une usine qui perd des commandes de marques légitimes peut être tentée de se tourner vers la contrefaçon pour faire tourner ses chaînes. » Pour surveiller ces ramifications, la marque au crocodile centralise toutes les informations glanées dans le monde sur une base de données informatisée à Paris.
« Parfois, il faut rémunérer des intermédiaires au look patibulaire à qui l'on confie de l'argent liquide pour qu'ils rentrent dans le jeu et passent des commandes à des industriels afin de les prendre la main dans le sac », confie Alain Lorenzo, président des parfums Givenchy.
Signes secrets
Les parfums ne sont pas les derniers produits copiés. « La spécificité, c'est qu'on trouve souvent à la fois des faux mêlés à de vrais produits volés ou détournés sur le marché parallèle », explique Alain Lorenzo, dont les équipes ont procédé à des achats anonymes de flacons sur eBay. Plus que les faux, souvent grossiers, au flacon mal imité et au jus parfois nauséabond, le marché parallèle est le gros souci de la parfumerie. Il peut être alimenté par des ventes non autorisées d'employés indélicats, des liquidations de stocks de parfumeries en faillites, des testeurs vendus ou même le « picking » (*) réalisé par des « maleteros », en Amérique latine, qui revendent ailleurs avec de petites marges en profitant des différences de taux de change. Pour identifier ces indélicatesses, les parfumeurs insèrent des signes secrets dans leurs produits permettant de pister les lots. Les marquages à l'aiguille ou par code-barres sur le packaging ayant été vite repérés par les trafiquants, le système s'est nettement sophistiqué. Pour qu'il reste efficace quelque temps, les fabricants préfèrent en garder le secret.
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