mardi 14 avril 2009

ANALYSE - Pékin a ouvert le vrai débat - Martin Wolf

Le Monde - Economie, mercredi, 15 avril 2009, p. MDE2

Chronique publiée en partenariat avec le Financial Times

Le sommet du G20 réuni à Londres le 2 avril a-t-il engagé l'économie mondiale sur la voie d'un redressement durable ? La réponse est non. De telles réunions ne peuvent dissiper les désaccords fondamentaux sur ce qui a déraillé et sur la façon d'y remédier. Le monde s'est engagé sur la voie d'un redressement non durable. C'est peut-être mieux que pas de redressement du tout, mais ce n'est pas suffisant.

Certes, le G20 a décidé de tripler les ressources allouées au Fonds monétaire international (FMI) pour les porter à 750 milliards de dollars (565 milliards d'euros), et de lui accorder des droits de tirage spéciaux (DTS, l'actif de réserve du FMI) de 250 milliards de dollars. Si elles sont mises en oeuvre, ces décisions pourraient permettre aux économies émergentes les plus touchées de survivre à la crise. Mais elles marquent aussi le retour à un grand débat : le fonctionnement du système monétaire international. Et là, on peut être plus dubitatif, et s'interroger sur la durabilité du redressement annoncé.

D'une manière générale, les déficits budgétaires des pays présentant des déficits structurels de leurs comptes courants sont plus importants que ceux des pays dont les comptes courants sont excédentaires. Cela tient à ce que les seconds peuvent importer une part significative de la relance injectée par les premiers. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit une hausse de la dette publique américaine de près de 40 % du produit intérieur brut (PIB) sur trois ans. Il est donc fort probable que la prochaine crise soit déclenchée par ce que les marchés considèrent comme une dette budgétaire excessive dans les pays présentant de forts déficits structurels de leurs comptes courants, notamment les Etats-Unis. Si cela devait se confirmer, le système économique international pourrait connaître un moment critique.

De manière surprenante, c'est la Chine qui soulève ces questions. Cela s'explique par son intérêt bien compris : elle s'inquiète de la valeur de ses réserves en devises étrangères, dont la plupart sont libellées en dollars américains ; elle ne veut pas être accusée d'être responsable de la crise ; elle souhaite préserver autant que possible son modèle de développement ; et je la soupçonne de chercher à alléger la pression qu'exercent sur elle les Etats-Unis concernant le taux de change de sa devise, le renminbi.

Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a exprimé l'inquiétude de son pays sur la valeur de ses vastes réserves - près de 2 000 milliards de dollars. Elles représentent presque la moitié du PIB chinois pour 2008. Imaginez ce que diraient les Américains si leur gouvernement avait investi environ 7 000 milliards de dollars (l'équivalent par rapport au PIB américain) dans les dettes de gouvernements pas vraiment amicaux. Pékin commence à prendre conscience de son erreur - trop tardivement, hélas !

Dans le même temps, le gouverneur de la Banque populaire (banque centrale) de Chine, Zhou Xiaochuan a produit une série remarquable de discours et d'articles sur le système financier mondial, les déséquilibres mondiaux et la réforme du système monétaire international. Ils constituent un exposé du point de vue chinois et une contribution au débat mondial. On peut ne pas être d'accord avec tout ce qu'il dit. Mais le fait même qu'il s'exprime est en soi significatif.

Le gouverneur Zhou explique que les taux d'épargne élevés que l'on observe en Chine et dans d'autres pays d'Asie orientale sont le reflet de la tradition, de la culture, de la structure familiale, de la démographie et du stade de développement économique de ces pays. De plus, ajoute-t-il, ils " ne peuvent être ajustés par une simple modification du taux de change nominal ". D'ailleurs, insiste-t-il, " le ratio élevé d'épargne et les vastes réserves de devises étrangères dans les pays de l'Asie orientale sont le résultat de réactions de défense contre la spéculation prédatrice ", notamment durant la crise financière asiatique de 1997-1998.

Aucun de ces éléments ne peut être vite modifié, poursuit le gouverneur : " Bien que les Etats-Unis ne puissent pas poursuivre un schéma de croissance conjuguant forte consommation et épargne faible, ce n'est pas aujourd'hui le bon moment pour qu'ils relèvent leur ratio d'épargne. " En d'autres termes : vivement qu'ils apprennent la frugalité, mais pas tout de suite.

D'ailleurs, l'énorme accumulation de réserves de devises étrangères - elles ont augmenté de 5 400 milliards de dollars entre janvier 1999 et le pic atteint en juillet 2008 - reflète l'exigence de sécurité des économies émergentes. Mais du fait que le dollar américain est le principal actif de réserve de la planète, le monde dépend des émissions monétaires des Etats-Unis. D'ailleurs, ce pays a, pour cette raison, tendance à creuser le déficit de ses comptes courants. Il en a résulté la réapparition d'une faiblesse déjà discutée durant les dernières années du système de taux de change fixes établi à Bretton Woods, et qui s'est effondré au début des années 1970 : la surémission de la devise de référence. La réponse à long terme, conclut-il, réside dans " une monnaie de réserve "supersouveraine" ".

Il est facile de soulever des objections à l'encontre de beaucoup de ces arguments. Une bonne part de la croissance extraordinaire de l'épargne agrégée chinoise provient de l'augmentation des profits commerciaux et industriels. Il serait, par exemple, certainement possible de taxer puis de dépenser une partie de cette énorme épargne. Il est également difficile de croire qu'un pays tel que la Chine devrait épargner 50 % de son PIB ou enregistrer un excédent de ses comptes courants proche de 10 % de son PIB.

De même, si le système monétaire international est en effet défectueux, cela peut difficilement être l'unique explication à l'énorme accumulation de réserves de devises étrangères constituées dans le monde. Une autre raison est la dépendance excessive à l'égard d'une croissance tirée par les exportations.

Toutefois, le gouverneur Zhou a raison de penser qu'une partie de la solution à long terme de la crise serait un système de création de réserves qui permettrait aux économies émergentes de creuser sans risque le déficit de leurs comptes courants. L'émission de droits de tirages spéciaux est une façon d'atteindre cet objectif sans changer les caractéristiques fondamentales du système mondial.

La Chine cherche à lancer le débat avec les Etats-Unis. Ce fait est en lui-même d'une énorme importance. Même si les motivations de Pékin sont intéressées, sa volonté de dialogue est une condition indispensable pour permettre un examen sérieux sur les réformes globales.

Mais la Chine doit également comprendre un point essentiel : le monde ne pourra pas absorber sans risque les excédents de comptes courants qu'elle va sans doute générer du fait du mode de développement qu'elle poursuit actuellement. Un pays aussi vaste ne peut espérer compter sur de tels excédents comme source de demande. La dépense intérieure doit encore augmenter de façon vigoureuse et prolongée par rapport à la croissance de la production potentielle. C'est aussi simple - et aussi ardu - que cela.

Martin Wolf, éditorialiste économique au Financial Times

Traduit de l'anglais par Gilles Berton

PHOTO - Un homme tient le livre "You can save America" dans une librairie à Wuhan / Getty Images

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