ÉDUCATION - Les étudiants chinois angoissés par leur avenir
( JINAN, PEKIN, CHENGDU, SHENYANG, XIAN )
La crise économique mondiale touche la jeunesse chinoise, notamment les 6 millions d'étudiants diplômés chaque année. La plupart revoient à la baisse leurs attentes.
Sur l'immense campus déjà verdoyant de l'université du Shandong, les étudiants chinois profitent des premiers rayons du soleil de printemps. Amoureux main dans la main, basketteurs, cyclistes ou pongistes s'égaillent sur les terrains de sport et les larges allées de cette belle cité universitaire de Jinan, la capitale de la province. Derrière cette apparente insouciance, règne toutefois une inquiétude palpable parmi ces jeunes étudiants, enfants de la croissance économique et des réformes chinoises.
Assise sur un banc au bas de l'immeuble qui abrite les dortoirs des filles, Li Lu, 20 ans, étudiante à l'Institut des langues étrangères, ne cache pas ses appréhensions quant à son avenir professionnel : « Je veux devenir interprète professionnelle, anglais, français et chinois et je suis très motivée mais il est inutile de se voiler la face, l'avenir n'est pas rose, comme vous dites en français ! »
Élevée par sa mère, seule, qui vend des pièces détachées de voitures, Li Lu a toujours regardé la réalité en face, sans illusion : « C'est très simple, je m'inquiète car il y a trop de monde en Chine et le chômage augmente. Pour nous les étudiants, qui sommes quand même des privilégiés dans la société, l'avenir est moins lumineux que par le passé. Rien que cette année en Chine, plus de 6 millions de nouveaux diplômés vont entrer sur le marché du travail et on sait déjà que les deux tiers ne trouveront pas de travail immédiatement. »
Une fois posée cette équation, ces jeunes, qui n'avaient jamais entendu le mot « crise économique » de leur vie, ne cessent de parler de leurs plans de carrière. Song Yang, 23 ans, née dans la ville portuaire de Yantaï où ses parents travaillent dans une entreprise pharmaceutique, est en troisième année de « finances et langues étrangères » et partage certains cours avec Li Lu. « J'ai des camarades qui sont sortis diplômés l'année dernière et qui n'ont toujours pas trouvé de travail, raconte-t-elle. J'ai vu des reportages sur les fermetures d'usines dans le sud du pays, vers Canton, mais il aura fallu que j'entende de nombreux amis me confier leur situation difficile pour percevoir que la baisse d'activité économique commençait aussi à toucher les étudiants.
Le mois dernier, dans leur province du Shandong, une journée de l'emploi avait rassemblé plus de 200 000 étudiants pour 15 000 postes offerts dans la fonction publique. « J'ai vu des images sur Internet, souffle Song Yang, dépitée. C'est incroyable, certains ont dû prendre des postes qui n'avaient rien à voir avec leur formation et à des salaires moins élevés que par le passé... »
Plus tard dans la journée, les deux amies se retrouvent dans les locaux de l'Alliance française de Jinan, près de la magnifique cathédrale construite il y a un siècle par des missionnaires allemands. D'autres étudiants sont rassemblés et le sujet de la crise s'impose rapidement. Xia Shuang, 20 ans, née à Jinan d'un père archiviste à la télévision et d'une mère ouvrière, lâche qu'elle est « membre du Parti communiste depuis six mois ». Personne ne s'en offusque.
« Nous avons tous des cours obligatoires de marxisme à l'université », assure Xu Yuen Jing, 19 ans, originaire de la province du Henan, fille d'un professeur de fac et d'une mère comptable. « Ces cours sont très ennuyeux, on n'y comprend rien et même le prof parfois donne l'impression de s'ennuyer. Ici, on ne réfléchit pas trop à la politique, ce n'est pas nous qui pouvons changer les choses. C'est grâce au Parti communiste que l'économie chinoise a fait de tels progrès en vingt ans, alors on a plutôt de la gratitude. » Un sentiment partagé par le petit groupe d'élèves. Dans cette logique, le Parti va devoir continuer à tenir ses promesses de bien-être pour éviter les mécontentements d'étudiants.
Quant à Xia Shuang, d'apparence timide, elle explique qu'elle a été choisie par un de ses professeurs pour adhérer au Parti, « une proposition qui ne se refuse pas », même s'il faut quand même poser sa candidature pour devenir membre. « Je suis très active à l'université, je suis membre de l'Union des étudiants et c'est vrai que je suis très bonne élève, explique-t-elle. Être membre du Parti communiste peut aider pour trouver un bon travail, c'est sûr. » « Et surtout pour grimper plus rapidement vers des responsabilités importantes, avoir un bon salaire et des avantages », renchérit Xu Yuen Ping. Dans le contexte chinois, chacun se débrouille à sa façon pour « sortir du lot ».
Les inquiétudes semblent moins fortes à l'université de technologie de Chengdu, capitale du Sichuan dans le sud-ouest de la Chine. Dans ce campus lui aussi confortable, paisible et modernisé, une brillante étudiante en mathématiques de 20 ans comme Nio Si Jia, fille d'un patron d'une société d'électricité et d'une mère fonctionnaire, ne se fait pas de soucis : « Je sais que c'est dur pour trouver un travail, mais nos profs nous disent qu'on a toujours besoin de mathématiciens de bon niveau dans l'industrie, la haute technologie, la recherche. Notre province a beaucoup d'entreprises de pointe qui ne sont pas orientées vers l'exportation. Pour le moment, je ne peux pas dire que je suis personnellement touchée par la crise. » De la même façon, un de ses camarades étudiant en électronique à l'université de Pékin n'aura pas de problème à intégrer une bonne entreprise chinoise ou étrangère.
Zhang Lei, technicien en informatique dans la grande ville de Shenyang, capitale de la province du Liaoning, à la triste réputation de cité industrielle pauvre (20 % de chômage) et polluée, ne rêve, lui, que d'une seule chose : émigrer au Québec. Né dans une petite bourgade de la lointaine province du Qinhai, une des plus déshéritées du pays, Zhang Lei a fait son chemin mais ne se voit pas mener une vie agréable à Shenyang. « Je gère le système informatique d'un grand hôtel de la ville et je gagne près de 3 000 yuans par mois (300 €), ce qui est plutôt un bon salaire ici, mais je le juge insuffisant. Je mérite plus. Avec ma qualification, je peux gagner au moins 3 000 dollars canadiens (2 300 €) par mois au Québec et assurer une vie confortable à ma famille. »
À Shenyang, beaucoup de « professionnels » font les démarches pour émigrer à l'étranger, certains dans un secret total, sans en dire un mot à leur patron, au cas où les dossiers seraient refusés. « Une amie chercheuse-biologiste m'a dit qu'elle était inquiète pour l'avenir à cause de la crise économique. Elle souhaite également quitter le pays pour de meilleures conditions de vie et d'éducation. Je la comprends. Le Canada est également touché par la dépression, comme la Chine, mais je pense que ça ne va pas durer plus de trois ou quatre ans. Le temps pour moi de compléter mes études au Québec et d'obtenir un diplôme encore supérieur, puis un meilleur emploi et un excellent salaire. »
À plus de 2 000 kilomètres de Shenyang, Xi'an, la capitale de la province intérieure du Shaanxi, ne brille pas non plus par sa richesse. Yang, Xian, Tang, Li, Song vont terminer dans deux mois leurs études d'économie et de langues. Ils ont tous 22 ou 23 ans et voient approcher la fin de leurs études avec angoisse. « On entend parler de la crise, mais on ne la sent pas directement dans notre vie », raconte l'une. « On écoute seulement nos camarades de l'année précédente raconter qu'ils ont eu plus de mal à trouver du travail cette année, car de nombreuses entreprises n'embauchent plus et encore moins des jeunes diplômés sans expérience professionnelle. Déjà que la province du Shaanxi n'a pas beaucoup d'entreprises... L'avenir ne sera pas simple. »
Pour autant, les étudiants de cette province située loin à l'intérieur des terres chinoises et moins exposée au monde ont vu s'ouvrir depuis peu de nouvelles perspectives jusqu'ici peu évoquées dans les témoignages d'étudiants. « J'ai choisi le français il y a trois ans, explique Li, 22 ans, et j'ai eu un peu peur de ne pas pouvoir l'utiliser pour trouver un bon travail à cause de la crise. Mais il y a un boom en Afrique en ce moment : ils ont besoin de personnels francophones. Il y avait des colonies françaises là-bas et les relations sino-africaines sont excellentes, de nombreux contrats de coopération et de construction sont signés. Bien sûr, j'ai d'autres possibilités avant de choisir l'Afrique : chercher un travail en Chine d'abord, en France par la suite. Mais si rien ne marche, alors là c'est sûr, je vais chercher un travail en Afrique. Je n'aurai aucun problème à en trouver. »
Reste que l'image de l'Afrique pour ces jeunes étudiants chinois demeure assez contrastée : « dangereux, maladies, hygiène, saleté ». Il est vrai que les conditions de travail sont dures sur le terrain. Les entreprises chinoises sont souvent localisées dans des endroits isolés, loin des villes. Mais les contrats de quatre ans, avec un seul voyage en Chine après deux ans, offrent des salaires impossibles à obtenir en Chine. « Un ami parti en Tanzanie pour un chemin de fer gagne entre 1 000 et 2 000 € par mois ! C'est la vraie motivation pour nous. On va peut-être souffrir pendant quelque temps, mais, après notre retour en Chine, nous pourrons monter notre propre société avec l'argent économisé. Si une offre m'est faite, je pars pour l'Afrique, c'est sûr ! »
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