mercredi 1 avril 2009

La campagne n'est pas un déversoir ! - Wu Xiaobo

Courrier international, no. 961 - En couverture, mercredi, 1 avril 2009, p. 56

Wu Xiaobo*
Jinyang Wang (Canton)

Dans un blog abondamment reproduit par des sites chinois, l'économiste Wu Xiaobo s'étonne que l'on demande aux ruraux d'absorber tous les surplus - hommes et biens - créés par la crise.

Chaque fois que je vais me promener dans les bourgs et les villages, je pose toujours la même question aux gens du cru : "Que pourrait-on vous envoyer dont vous manquiez vraiment, à la campagne ?" La réponse est à chaque fois identique, à peu de chose près, mais j'attendrai la fin de cet article pour vous la révéler.

Ces derniers temps, les campagnes voient déferler foule de marchandises, mais aussi foule d'individus.

Quelles marchandises ? Des produits industriels. Sous l'impulsion du ministère des Finances et de celui du Commerce, les fabricants de téléviseurs en couleurs, de réfrigérateurs, de machines à laver et de téléphones portables déferlent en masse dans les campagnes pour promouvoir la vente de leurs produits, dont les prix sont subventionnés à hauteur de 13 % par le gouvernement. Quel est l'effet produit par cet afflux de biens industriels dans les campagnes ? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais il semble que cette mesure viserait surtout à tirer d'embarras les usines et les entreprises urbaines.

Et ces individus qui arrivent dans les campagnes, qui sont-ils ? De jeunes diplômés. Chaque année, plus de 6 millions d'étudiants sortent des universités diplôme en poche et cherchent du travail. Ils sont à l'origine de ce qui est presque devenu le problème majeur de la Chine ! Envoyer ces étudiants à la campagne pour en faire des "fonctionnaires ruraux" est donc devenu la solution d'urgence pour désengorger les villes. Ils sont recommandés par des administrations pour des postes d'assistant du secrétaire de la cellule du Parti du village, chef de village adjoint, etc. Est-ce une réussite ? Là encore, il est trop tôt pour le savoir, mais il semble que cette mesure vise surtout à résoudre l'épineux problème de l'emploi en ville...

Sans compter qu'aux produits industriels et aux jeunes diplômés qui affluent vers les campagnes viennent s'ajouter plusieurs dizaines de millions de paysans migrants qui, ne trouvant plus de travail en ville, rentrent chez eux... : les campagnes chinoises sont bien devenues le déversoir de la crise économique actuelle. Aux dires de tous, la crise serait bien moins grave en Chine qu'aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon. Pourquoi ? Eh bien, parce que la Chine dispose de ce vaste déversoir !

Pourtant, est-ce une solution ? Ma réponse est non. Les paysans sont déjà tellement pauvres ! Si désormais on les incite à acheter tous ces biens de consommation, n'est-ce pas autant d'argent en moins pour la production agricole ? Tous ces étudiants envoyés à la campagne afin d'occuper des postes de "fonctionnaires ruraux" et qui n'ont aucune expérience, ni la moindre empathie vis-à-vis des ruraux, que peuvent-ils bien apporter aux paysans ? Cela fait simplement plus de monde de casé, c'est tout.

Voici à présent l'opinion de deux anciens sur l'économie des campagnes. Le premier s'appelle Chen Yun (1905-1995) : célèbre "grand maître de la planification économique", il livra néanmoins, en 1950, une analyse très percutante, alors que l'économie des campagnes, comme celle des villes, s'était figée - un peu comme aujourd'hui. "Notre expérience est que la clé de la prospérité, c'est l'achat des produits agricoles et de leurs dérivés. Grâce à cela, 90 % des campagnes ont pu évoluer et les 10 % restants ont le moyen de le faire. Ce sont les campagnes qui doivent être la force motrice essentielle", nous dit Chen Yun. Ce principe est encore valable aujourd'hui, et si l'on veut que les campagnes prospèrent, il faut donc avant tout augmenter et soutenir le prix d'achat des produits agricoles et de leurs dérivés.

Le second s'appelle Fei Xiaotong (1910-2005, éminent sociologue et anthropologue). Dans son célèbre ouvrage Peasant Life in China (1938), il écrit : "Appliquer la réforme agraire ne suffira pas à résoudre définitivement le problème agraire en Chine. Car la solution ultime ne consiste pas à réduire les dépenses des paysans, mais à augmenter leurs revenus. La mesure ad hoc ? Restaurer l'industrie rurale !" Voilà qui est bien dit, et qu'il faudrait répéter inlassablement. Depuis 1978, la Chine suit cette voie. Pour faire prospérer les campagnes, il faut donc avant tout stimuler l'économie industrielle rurale et, dans ce domaine aussi, le gouvernement a les moyens d'agir.

En conclusion, pour ranimer l'économie rurale, il existe deux solutions : celle proposée par Chen Yun et celle de Fei Xiaotong. La première consiste à préserver et augmenter la vitalité de la production agricole, la deuxième à accélérer la construction d'un tissu industriel rural. Telles sont les mesures stratégiques qui peuvent véritablement redonner de l'impulsion à l'économie des campagnes. Mais pour cela, de quoi les campagnes chinoises manquent-elles encore le plus ?

Chacun a déjà dû trouver la réponse à cette question, et c'est donc d'une seule voix que nous pouvons le dire : d'argent !

* Economiste et chroniqueur financier.

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