James Fallows *
The Atlantic (Washington)
Très dépendante de la demande américaine, la Chine n'en est pas moins capable de rebondir en innovant. Une leçon que l'industrie américaine ferait bien de suivre.
La success story chinoise telle que nous l'avons connue jusqu'ici - trois décennies ininterrompues de modernisation et de prospérité sous la houlette d'un régime autoritaire - est-elle terminée ? A-t-elle atteint ses limites et révélé ses contradictions ? Si la Chine cesse de progresser et de croître, risque-t-elle de se déchirer ?
A mon avis, non. La Chine est certes confrontée à de gros problèmes, et il est possible qu'un jour nous repensions aux cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques de Pékin comme à la dernière occasion où le monde a pu croire qu'il n'y avait pas de limites à ce que pouvait accomplir la Chine. Mais je parie le contraire.
Commençons par examiner jusqu'à quel point les choses pourraient se dégrader. L'approche la plus limpide est celle de Michael Pettis, un professeur de science financière résidant à Pékin. Pour imaginer la situation de la Chine des années 2000, explique-t-il, il faut la comparer à celle des Etats-Unis dans les années 1920. Pettis a écrit récemment que l'excédent commercial chinois, "la mesure la plus précise de la surcapacité" - c'est-à-dire les usines qui tournent et les ouvriers qui ne sont employés que pour répondre aux achats de l'étranger -, est, par rapport au reste du monde, aussi important que l'excédent américain en 1929. En revanche, par rapport à sa seule production nationale, la Chine affiche un excédent cinq fois plus dépendant de clients étrangers pour ses emplois que ne l'étaient les Etats-Unis de 1929. Par conséquent, à moins qu'elle ne trouve le moyen de continuer à vendre alors que ses clients habituels ont cessé d'acheter, la Chine devrait subir une vague de chômage proportionnellement beaucoup plus forte que celle qui a frappé les Etats-Unis à l'époque.
Le fait que la Chine soit devenue le financier des Etats-Unis a renforcé sa capacité d'influence sur ce pays. Mais sur le court terme - ou plutôt, tant que la crise actuelle durera - les deux pays sont en réalité codépendants d'une manière que ni l'un ni l'autre n'avaient tout à fait prévue. Depuis le début de l'année, les responsables chinois ont exprimé avec de moins en moins de ménagement ce que Gao Xiqing, qui gère quelque 200 milliards de dollars d'avoirs chinois aux Etats-Unis, avait subtilement laissé entendre en décembre 2008, à savoir que si les Etats-Unis entendent continuer à se servir de l'argent chinois, ils ont tout intérêt à remettre leur économie sur les rails. En d'autres termes, selon Pékin, les Etats-Unis devraient épargner et investir davantage, moins emprunter et moins consommer. Au Forum de Davos, en janvier dernier, le Premier ministre Wen Jiabao a de nouveau souligné le problème en morigénant les Etats-Unis pour avoir provoqué la déroute générale par leurs excès. Bon, d'accord ! Le seul problème, c'est que plus les Américains obtempéreront, plus les choses en Chine pourraient s'aggraver sur le court terme, car c'est précisément la surconsommation américaine qui a permis aux usines chinoises de tourner à plein régime. Mais les Américains sont dans une contradiction similaire en ce qui concerne leurs critiques à l'adresse de la Chine. Les autorités américaines voudraient que celle-ci réduise son excédent commercial - mais, dans le même temps, ils voudraient que les financiers chinois continuent à acheter des bons du Trésor américain et des actions de sociétés américaines avec les dollars que les Chinois tirent justement de leur excédent. Or on ne peut pas tout avoir. Les Chinois peuvent soit nous donner de l'argent, soit nous restituer un certain nombre d'emplois, mais pas les deux. Les Etats-Unis continueront donc à croiser les doigts en attendant de toucher le fond de la crise économique, pendant que les entreprises et les ouvriers chinois accuseront un choc sévère.
Alors, pour quelle raison suis-je convaincu que les Chinois ont de bonnes raisons d'espérer ?
La première réponse relève de l'économie pure. Les Chinois peuvent récupérer chez eux une partie de la demande perdue grâce à leur plan de relance, qui, avec 4 000 milliards de yuans [435 milliards d'euros], est proportionnellement beaucoup plus important que celui proposé par l'administration Obama [équivalent de 580 milliards d'euros], car l'économie chinoise est bien plus faible que l'économie américaine. Certes, il y a bien des raisons d'être sceptique sur les chances de réussite du plan chinois.
Mais sur mon bureau s'entassent des analyses secteur par secteur montrant que le rebond pourrait arriver plus rapidement que ne l'indiquent les chiffres de la demande brute. "Quand pouvons-nous espérer des signes de frémissement dans l'économie chinoise ?" s'interroge Andy Rothman, de chez CLSA Asia-Pacific Markets, dans un de ces rapports concernant l'industrie du ciment et de l'acier. "Selon nous, ils devraient se manifester en mars ou en avril 2009", c'est-à-dire lorsque les premières commandes résultant du plan de relance parviendront aux entreprises du secteur en question.
J'ai parcouru de nombreux autres rapports concernant un tas d'autres secteurs, et tous tendent à la même conclusion : l'économie chinoise pourrait souffrir plus durement que la plupart des autres économies, mais elle possède également plus d'outils et plus de ressources que la plupart d'entre elles.
Au-delà de la pure perspective économique, l'hypothèse selon laquelle "la Chine est finie" semble méconnaître l'importance des réalités culturelles et politiques. La prémisse est que le Chinois ordinaire n'accepte qu'avec réticence le marché social que le gouvernement lui offre aujourd'hui - une liberté limitée en échange d'une richesse potentiellement illimitée - et que, en conséquence, si le gouvernement ne remplit pas ses promesses matérielles, le marché sera rompu et les gens vont se révolter.
Loin de péricliter, des entreprises chinoises investissent
Cela ne correspond pas à ce que j'ai pu observer sur place. Les licenciements et les salaires gelés ? Les Chinois ont vu pire. Ce sont des gens aussi exigeants que n'importe quel autre peuple, et leurs attentes sont aujourd'hui plus élevées qu'autrefois. Mais il est difficile de voir en quoi les difficultés qui se profilent seront celles que les Chinois trouveront inacceptables ou celles qui pousseront le système vers un effondrement à la soviétique.
Enfin, il ne faut pas oublier un élément important de la situation : les opportunités que les soubresauts actuels pourraient offrir à la croissance future de la Chine.
A Pékin, à Shanghai, à Shenzhen et ailleurs, j'ai eu l'occasion de voir des entreprises qui tentent d'utiliser les remous actuels pour pénétrer sur de nouveaux marchés et faire ce que très peu d'entreprises chinoises ont fait jusqu'à présent : fabriquer des produits de haute technologie qui dégagent de gros bénéfices. Dans un pays aussi vaste et aussi chaotique que la Chine, il est bien entendu possible de relever les preuves d'autant de "tendances" que vous voulez. Mais en quelques semaines seulement d'enquête, j'ai pu constater qu'un certain nombre d'entreprises, loin de péricliter, se développaient, et que des responsables industriels y investissaient beaucoup d'argent, convaincus que c'est maintenant - au moment où les compétiteurs sont les plus faibles et qu'il est possible de recruter des talents et des actifs à un prix avantageux - qu'il faut mettre tous les atouts de son côté pour préparer la prochaine étape.
C'est à l'ouest de Shenzhen que j'ai trouvé l'exemple le plus spectaculaire de cette tendance. Là, une start-up purement chinoise nommée BYD a annoncé des projets qui pourraient prêter à sourire si l'entreprise n'avait pas déjà réalisé des choses remarquables.
En 1987, Wang Chuanfu a décroché un diplôme avancé de métallurgie à l'université Zhongnan de Changsha. Huit ans plus tard, il créait BYD, spécialisé dans les petites batteries. Et sept ans plus tard, l'entreprise faisait son entrée à la Bourse de Hong Kong. En 2005, BYD est devenu le leader mondial dans le domaine des petites batteries. L'entreprise emploie 130 000 personnes en Chine, réparties sur sept sites principaux de production. J'ai passé un après-midi entier à visiter l'usine de Shenzhen.
"Nous pensons que lorsqu'on a une bonne compréhension des matériaux, beaucoup de choses sont possibles", m'informa Stella Li, la vice-présidente de l'entreprise. Elle faisait notamment allusion à l'événement qui, l'année dernière, a propulsé BYD vers la notoriété internationale : la présentation du premier véhicule hybride alimenté par batterie à pouvoir être produit à la chaîne et rechargé sur une prise de courant domestique. Cette voiture, la F3DM, que j'ai conduite sur un parking de l'usine, peut rouler sur une centaine de kilomètres grâce à sa seule batterie, après quoi le moteur à essence prend le relais. La batterie à base de fer se recharge en sept heures et serait capable de supporter sans faiblir plus de mille cycles de rechargement, ce qui est une prouesse. Le prix de vente du véhicule est annoncé à 22 000 dollars [16 000 euros] - cher pour la Chine, mais très raisonnable pour les marchés américain et européen, où aucune voiture rechargeable équivalente n'est pour l'instant commercialisée. D'ailleurs, à la fin de l'année 2008, Warren Buffett a répondu à sa manière aux moqueries de la presse américaine en achetant pour 230 millions de dollars 10 % des parts de l'entreprise.
Les industriels américains devraient réfléchir
L'objectif officiel de l'entreprise est de devenir le plus gros constructeur automobile chinois en 2015 et le plus gros du monde en 2025. Alors même que Wang dévoilait sa voiture à Shenzhen, le Congrès américain débattait de l'opportunité d'une aide d'urgence à GM et Chrysler. J'ai demandé à Wang s'il avait un ou deux petits conseils à communiquer aux industriels américains. Wang est un homme discret et réservé. En entendant la traduction de la question, j'ai eu l'impression qu'il blêmissait. "Depuis cent ans, rien n'a changé à Detroit", a-t-il finalement répondu via l'interprète. "Je pense qu'ils devraient réfléchir à leurs lignes de produits."
La Chine est à genoux. Elle n'est pas K.-O. Cela a des implications importantes pour les Etats-Unis. On pourra légitimement critiquer le gouvernement chinois dans le cas où il tenterait de subventionner en douce ses exportations ou de déprécier à nouveau le yuan. Mais personne ne peut lui reprocher son ambition d'augmenter la rémunération du travail de ses citoyens. De nombreuses entreprises chinoises subiront des échecs et commettront des erreurs face à l'intense pression actuelle. Mais beaucoup d'entre elles mettent à profit ces temps difficiles pour préparer leur rebond. La question que devraient se poser les Américains, c'est comment eux-mêmes utilisent le moment présent.
* Auteur de plusieurs livres, James Fallows vient de publier Postcards from Tomorrow Square: Reports from China (Vintage, décembre 2008 ; non traduit en français).
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