Liao Haiqing
Nanfeng Chuang (Canton)
Avec la hausse du chômage, les manifestations de colère vont se multiplier. Pour y répondre, laissons les groupes sociaux s'organiser, préconise un magazine chinois.
L'heure n'est pas à l'optimisme. La crise financière mondiale fait de plus en plus sentir ses effets et constitue une menace bien plus lourde que ce que l'on avait pensé au départ. Au mois de janvier, les exportations chinoises ont reculé de 17,5 %, tandis que les importations s'effondraient de 43,1 % en glissement annuel. Depuis dix ans, on n'avait jamais connu une telle baisse. A court terme, la demande extérieure ne devrait pas connaître d'amélioration notable, et la situation pourrait même se dégrader.
Le fort ralentissement des exportations a déjà entraîné la fermeture de nombreuses usines dans les deltas du Yangtsé et de la rivière des Perles [les deux zones phares de la croissance économique chinoise]. Le Pr Cai Fang, directeur de l'Institut de recherches sur la population et l'économie du travail, qui dépend de l'Académie des sciences sociales de Chine (ASSC), évalue à 17,63 millions le nombre d'emplois non agricoles supprimés à la suite de cette chute des exportations, dont 6,64 millions dans les services et 9,69 millions dans l'industrie manufacturière.
Le responsable de la Commission d'Etat au développement et à la réforme, Zhang Ping, estime que cette crise financière mondiale a des répercussions de plus en plus profondes sur la Chine. "Les trop nombreuses faillites et réductions de la production vont entraîner des vagues de suppressions d'emploi et déclencher des troubles sociaux", fait-il observer.
Le 17 février 2009 après-midi, après avoir été victime d'un vol, un travailleur migrant d'origine rurale nommé Li Yun, qui ne trouvait pas de travail, s'est donné la mort en se tailladant les veines dans la gare de Canton.
Selon des estimations, à l'échelle nationale, il pourrait bien y avoir 20 millions de travailleurs migrants comme Li Yun à la recherche d'un emploi. Un chiffre colossal ! Comme les villes n'ont pas encore vraiment pris en compte les besoins de cette frange de la population, les paysans migrants qui se retrouvent au chômage n'ont pour la plupart d'autre choix que de rentrer au bercail.
Un autre énorme groupe social sollicite l'attention du gouvernement : il s'agit des étudiants. D'après des statistiques, près de 6,11 millions d'étudiants devraient sortir diplômés de l'enseignement supérieur à l'été 2009. Ils viendront s'ajouter au million de jeunes diplômés de l'an dernier qui sont toujours sans travail. Ce sera donc au total 7,1 millions de personnes auxquelles il faudra trouver un emploi. L'insertion professionnelle des étudiants ne concerne pas seulement le marché de l'emploi, elle a aussi pour enjeu l'équité sociale. En effet, l'éducation est un ascenseur social devant permettre aux membres des couches sociales inférieures de grimper. Or, si les familles ordinaires découvrent que tout ce qu'elles obtiennent en contrepartie des investissements coûteux réalisés pour l'éducation de leur enfant, c'est le "chômage des diplômés", nul doute que l'harmonie sociale s'en ressentira.
Par ailleurs, 2008 était la dernière année de la politique de fermeture des entreprises publiques en faillite et, inévitablement, le nombre de personnes licenciées a été plus important qu'en 2007. Ce sont les cols bleus citadins qui ont le plus souffert. Ils vont devoir faire face au coût de la vie très élevé en ville, tout en subissant les vagues de licenciements.
Le chômage des cols blancs ou des classes moyennes dans les villes est un autre sujet d'inquiétude. Le sociologue Sun Liping estime que, même s'il n'est pas aussi pressant que chez les travailleurs migrants, il peut avoir des conséquences plus lourdes du fait de la place que ce groupe social occupe au sein de la population. La crise de confiance et les angoisses professionnelles que le chômage risque de générer en son sein sont bien plus graves.
Les experts estiment que l'addition de tous ces facteurs - crise économique, chômage des migrants et des jeunes diplômés, difficulté à s'accommoder d'une baisse du niveau de vie - peut conduire, dans certaines circonstances, à des attitudes extrêmes et désespérées, et à des incidents de masse [termes consacrés désignant les manifestations spontanées].
En fait, dans toutes les régions de Chine, les incidents de masse prennent de l'ampleur. En 2007, on en avait déjà dénombré plus de 80 000. Au cours du second semestre 2008, avant que ne se tiennent les Jeux olympiques de Pékin, des manifestations ou de graves heurts entre la police et la population se sont produits en maints endroits.
"Le niveau de violence dans les incidents de masse est monté de plusieurs crans", observe Dan Guangnai, chercheur à l'Institut de sociologie de l'ASSC, qui étudie le sujet depuis longtemps. "Certaines affaires qui jadis pouvaient être étouffées sont dévoilées au grand jour. D'autre part, cela indique que, lorsque les tensions accumulées franchissent un certain palier, elles explosent de manière très destructrice."
Actuellement, les pouvoirs publics à tous les échelons et leurs services sont dépourvus de moyens efficaces pour faire face à ces flambées de mécontentement. Gérer correctement les incidents de masse implique à coup sûr de les aborder avec un nouvel état d'esprit et de nouvelles méthodes.
Yu Jianrong, chercheur à l'Institut de recherches sur le développement des régions rurales à l'ASSC, pointe du doigt certaines autorités locales qui répriment sévèrement les manifestations en accusant sans fondement leurs participants d'être politisés et manipulés par les forces pernicieuses de notre société ou même par des forces étrangères, tout cela pour se soustraire à leurs responsabilités... Cette théorie du complot, trop simpliste, ne correspond pas à la réalité. Elle occulte la gravité du problème et les responsabilités politiques, et aboutit à ce que de mauvaises décisions soient prises.
Yu Jianrong estime nécessaire d'autoriser les paysans, les ouvriers et les autres groupes d'intérêts de la société à se doter d'organisations pour exprimer leurs propres intérêts. Le but étant de favoriser un équilibre relatif des intérêts respectifs par la participation de toutes les couches sociales et, par là, de renforcer la confiance des groupes les plus défavorisés vis-à-vis du Parti et du gouvernement. Le crédit et la légitimité de ces derniers en ressortiraient grandis.
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