lundi 20 avril 2009

La demande de nucléaire civil mondial suscite des inquiétudes

Le Figaro, no. 20131 - Le Figaro, lundi, 20 avril 2009, p. 14

À l'occasion de la deuxième conférence internationale sur la sécurité nucléaire qui s'ouvre aujourd'hui à Pékin, l'AIEA s'inquiète d'une demande désordonnée d'énergie nucléaire émanant d'un nombre croissant de pays qui y sont mal préparés.

LA DEUXIÈME conférence mondiale sur la sécurité nucléaire s'ouvre ce matin pour trois jours à Pékin, en Chine. Soixante pays seront représentés à cette grand-messe du nucléaire, la première depuis l'édition inaugurale organisée il y a quatre ans à Paris. Et, « depuis, tout a changé », assure Youri Sokolov, directeur général adjoint russe de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), coresponsable de la manifestation avec l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et le concours des autorités chinoises.

Aux quatre coins de la planète, la « renaissance » du nucléaire, qui compte à l'heure actuelle pour 16 % de l'électricité globale produite, est en marche. Les appétits s'aiguisent pour développer cette forme d'énergie afin de répondre à des besoins énergétiques croissants et pallier à la disparition annoncée des hydrocarbures, source d'énergie considérée au demeurant bien plus polluante que l'atome.

Aux 438 réacteurs nucléaires existants dans le monde, 34 autres sont en cours de construction, dont 10 ont été lancés pour la seule année 2008. Un record depuis 1985. Depuis la conférence de Paris, 61 États ont adressé à l'AIEA une demande d'assistance technique pour évaluer les chances de s'engager dans l'aventure nucléaire. Parmi eux, 25 ont clairement signalé leur volonté d'aboutir à l'horizon 2020. « Une gageure, estime Ian Facer, un expert britannique de l'agence, chargé de l'évaluation du « sérieux » des candidats. Il faut compter dix à quinze ans au minimum, pour la mise en chantier d'une centrale nucléaire. »

Pas de procédure accélérée

Ces États, l'AIEA les appelle « les nouveaux arrivants ». Et ils ne partent pas sur un pied d'égalité. D'un côté, il y a les géants d'Asie, la Chine et l'Inde, boulimiques d'énergie nucléaire pour les besoins de leur économie, et guère troublés par la contraction actuelle de la croissance mondiale.

De l'autre côté du décor, il y a la foule des prétendants, que l'on trouve surtout en Afrique et au Moyen-Orient : six États arabes, l'Algérie, l'Égypte, le Maroc, l'Arabie saoudite, la Tunisie et les Émirats arabes unis ont décidé de s'initier à la technologie nucléaire. Quatre autres pays du Conseil de coopération du golfe (CCG) - Bahreïn, Koweït, Oman et Qatar - leur ont emboîté le pas. Le reste du globe, du Vietnam au Yémen, en passant par l'Indonésie, le Niger, les Philippines et le Bangladesh, fourmille de projets nucléaires, pas toujours très réalistes.

Ce sont ces États-là qui « préoccupent » les experts de l'AIEA. Par prudence, ils ne donneront pas de noms. « Dans certains pays où je me suis rendu, maugrée Ian Facer, on m'a poliment expliqué que le président, ou le roi, c'est selon, avait »donné l'ordre* que l'on commande une centrale nucléaire... pour l'année suivante. » Parmi d'autres, le Nigeria suscite de larges interrogations. Malgré d'innombrables désastres industriels et projets inachevés, cet État subsaharien a exprimé ses intentions nucléaires en 2007, arguant de ses innombrables coupures de courant héritées d'un réseau d'électricité délabré et saturé. Mais comment imaginer l'aboutissement d'un projet aussi complexe et ambitieux, là où aucune industrie lourde n'a jamais pu s'implanter avec succès ?

« Technique de pointe, le nucléaire a besoin d'une infrastructure de pointe, rappelle volontiers Mohammed ElBaradei, le directeur général de l'AIEA. Ce qui implique une minutieuse planification, préparation, et un investissement (étalé) sur une période de dix à quinze ans. » Construire une centrale nucléaire, précise l'agence de Vienne, coûte au bas mot 3 milliards d'euros, mais « il n'y a pas de procédure accélérée pour en arriver là », renchérit Ian Facer, pour qui « les hommes politiques ont le devoir de modérer les attentes » placées dans le nucléaire.

Comment refréner l'irrésistible soif d'énergie de certains pays dont le développement insuffisant semble incompatible avec de telles ambitions à un horizon proche ? « Nous ne sommes pas une autorité de régulation, nous n'avons pas de pouvoir de censure, précise Facer à propos du rôle croissant de l'AIEA, sollicitée pour son expertise et son impartialité. Nous sommes juste là pour expliquer à ceux qui le souhaitent comment s'y prendre pour arriver à leurs fins de la meilleure manière possible ».

Une des pistes évoquées par l'agence de Vienne consisterait à soumettre les projets de développement nucléaire à un financement émanant d'institutions internationales. « Cela est prématuré, tranche Youri Sokolov. Le nucléaire reste une affaire d'États souverains. »

Picard, Maurin

PHOTO - Chen Qiufa, vice ministre de l'industrie et de l'information technologique, directeur de l'autorité de l'énergie atomique de Chine lors d'une conférence de l'AIEA, septembre 2008 / Reuters

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