lundi 20 avril 2009

Les Etats-Unis se démènent pour reconquérir Pékin - Cécile Prudhomme

Le Monde - Economie, lundi, 20 avril 2009, p. 11

Les gentlemen préfèrent les obligations américaines. " Paraphrasant Andrew Mellon, secrétaire au Trésor dans les années 1920, Richard Fisher, le président de la Réserve fédérale de Dallas, n'y est pas allé par quatre chemins. Jeudi 16 avril, à l'université Tsinghua de Pékin, il a même tout tenté pour convaincre les Chinois d'investir aux Etats-Unis.

" Un investisseur chinois qui aurait acheté un bon du Trésor américain à trois mois en mars 2008 et qui l'aurait renouvelé tous les trois mois jusqu'à la fin du mois dernier aurait eu un retour sur investissement réel négatif de 1,5 %, ce qui est peu enthousiasmant ", a-t-il reconnu. Mais, si ce même investisseur avait fait la même opération avec un " bon du Trésor d'un gouvernement de la zone euro, l'investissement se serait soldé par une perte de 16 % ".

" Nous sommes conscients " que certaines des mesures récentes prises par la Réserve fédérale (Fed) " pourraient faire monter une certaine appréhension parmi les gros détenteurs d'obligations du Trésor américain, comme votre gouvernement et d'autres dans la région Asie-Pacifique ", a ajouté M. Fisher. Avant de s'empresser de rassurer les Chinois, qui s'étaient dernièrement inquiétés de la dépendance du billet vert à la politique américaine : " Permettez-moi de vous rappeler que depuis un an " que la Fed intervient fortement pour soutenir l'économie américaine, " le dollar s'est apprécié de 17 % par rapport à l'euro et de 29 % par rapport à la livre britannique ", et il " ne s'est déprécié que par rapport à une seule des principales monnaies de réserve, le yen, et ce, de 2 % ".

Il est fréquent que, lorsque les " Trésors " souhaitent convaincre, lors de rendez-vous privés, les grands investisseurs asiatiques d'acheter leur dette, ils la comparent avec celle des autres pays, mais il est plus rare que les banquiers centraux fassent de telles déclarations en public. C'était déjà M. Fisher qui, le 8 avril, avait jugé, à Tokyo, que l'euro " avait beaucoup plus de problèmes " que le dollar.

Un gros pourvoyeur de fonds

Les arguments utilisés par M. Fisher sont en fait à la hauteur des enjeux actuels. La Chine est le plus gros pourvoyeur de fonds des Etats-Unis et, dernièrement, les relations entre les deux pays s'étaient un peu tendues.

Selon les statistiques publiées mercredi, la Chine a augmenté de 0,6 % au mois de février ses avoirs en bons du Trésor américain (à 744,2 milliards de dollars, soit 570,5 milliards d'euros), tandis que le Japon, second détenteur de dette américaine, les a accrus de 4,3 %, à 661,9 milliards de dollars. Et il faut que ça continue, car les Etats-Unis prévoient d'émettre 2 500 milliards de dollars de dette nette en 2009, contre 788 millions et 149 millions les deux précédentes années.

Or les déclarations récentes des officiels chinois, sur leur inquiétude vis-à-vis de leurs actifs et sur leur souhait d'avoir une monnaie de réserve qui se substituerait au billet vert, avaient laissé craindre qu'ils ne réduisent leurs achats de bons du Trésor américain.

Même sur leur position vis-à-vis du yuan, les Etats-Unis ont fait machine arrière. Aucun des grands partenaires des Etats-Unis n'a " manipulé ses taux de change dans le but d'éviter d'avoir à ajuster sa balance des paiements, ou pour obtenir indûment des avantages comparatifs ", mais " le Trésor reste d'avis que le yuan est sous-évalué ", a estimé mercredi le Trésor américain dans son rapport semestriel sur les devises de ses partenaires économiques, qui couvre la période de juillet à décembre 2008.

Une période où la Chine a cessé de laisser le yuan s'apprécier graduellement de manière contrôlée. Entre juillet 2005 - date à laquelle elle a autorisé les fluctuations de sa devise - et juillet 2008, le yuan a gagné environ 16 % par rapport au dollar. Depuis, il n'a pas fluctué de plus de 1 %, autour de 6,83 yuans pour 1 dollar, son cours de vendredi.

L'opinion officielle présentée dans le rapport du gouvernement américain montre un profond réajustement de sa position après les déclarations fracassantes de son secrétaire au Trésor, Timothy Geithner. Celui-ci avait écrit aux sénateurs, le 22 janvier, que le président Barack Obama " estime que la Chine manipule sa monnaie ", alors que Washington n'avait jusqu'alors jamais osé aller aussi loin par crainte de représailles.

Cécile Prudhomme

PHOTO - Richard Fisher, président de la Réserve fédérale de Dallas à l'Université de Harvard, Massachusetts, le 23 février 2009 / Reuters

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