jeudi 2 avril 2009

Pékin impose sa sphère d'influence - Jian Junbo

Courrier international, no. 961 - Dossier, mercredi, 1 avril 2009, p. 81

Gros temps en mer de Chine

Jian Junbo
Asia Times Online (Hong Kong, Bangkok)

La brusque montée des tensions avec les Etats-Unis illustre les ambitions maritimes de la République populaire et la volonté de les défendre à tout prix.

Un incident survenu début mars en mer de Chine méridionale entre les Etats-Unis et la Chine pourrait laisser penser à un accroissement des tensions entre les deux pays. Pourtant, à en croire les analystes, l'affaire ne risque pas de porter durablement atteinte aux relations sino-américaines, contrairement à un autre bras de fer du même type qui avait été suscité par la collision entre un chasseur chinois et un avion américain au-dessus de la même région en 2001. Face à la crise financière mondiale, les deux pays tiennent en effet à rester en contact étroit. Par conséquent, les observateurs s'attendent à ce que le litige se dissipe. L'incident, en revanche, illustre la capacité militaire de la Chine à défendre ses intérêts nationaux dans cette partie du monde et ailleurs, une réalité que les Américains doivent désormais prendre en compte, qu'elle leur plaise ou non.

Le 8 mars, le Pentagone a accusé la Chine d'avoir harcelé l'Impeccable, un bâtiment scientifique non armé, affirmant qu'il opérait alors en toute légalité dans les eaux internationales, à environ 120 kilomètres au sud de l'île de Hainan, la province la plus méridionale de Chine. Le ministère de la Défense chinois a demandé à Washington d'éviter qu'une telle confrontation se reproduise. Huang Xueping, porte-parole du ministère, a déclaré que le bâtiment américain avait violé le droit chinois et international, tel que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, ratifiée par la Chine mais pas par les Etats-Unis. Il est clair que les bâtiments chinois ont procédé à des manoeuvres d'intimidation autour du navire de recherche américain, qui, selon eux, violait la souveraineté chinoise. Sous cet aspect, le face-à-face n'est pas sans rappeler la collision aérienne qui s'est produite il y a huit ans au-dessus de l'île de Hainan. Le 1er avril 2001, un appareil de reconnaissance électronique américain Aries II avait été intercepté par deux chasseurs chinois J-8II à environ 110 kilomètres de l'île. Un des avions chinois avait commencé à frôler l'américain et, au troisième passage, il l'avait percuté. Le J-8II avait été coupé en deux et son pilote tué. Endommagé, l'appareil américain avait été contraint d'atterrir d'urgence sur une base aérienne militaire chinoise, à Hainan. Pendant les onze jours suivants, la situation avait été extrêmement tendue entre les deux pays, Pékin refusant de restituer l'Aries II et son équipage.

Un positionnement de plus en plus agressif

Cette fois, en dépit des protestations explicites de la Chine, le ministre des Affaires Etrangères Yang Jechi et la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton se sont rencontrés à huis clos dès le 11 mars et se sont entendus pour faire retomber la pression et veiller à ce que l'incident ne se reproduise pas. Mais ni l'une ni l'autre partie ne sont revenues sur leurs versions conflictuelles de l'événement. Les Etats-Unis ont rejeté les exigences de la Chine, qui appelle à l'arrêt des activités de surveillance maritime américaines. Alors que les tensions restaient vives, le président Barack Obama a reçu Yang dans le Bureau ovale le 12 mars. Il a souligné que des communications plus régulières étaient nécessaires afin d'éviter à l'avenir toute confrontation militaire, en raison du risque de compromettre des relations bilatérales essentielles pour résoudre la crise mondiale.

Ce n'est évidemment pas la première fois que la marine américaine est engagée dans des missions de surveillance dans cette zone de la mer de Chine méridionale. Le Pentagone a affirmé que l'Impeccable menait une opération "de routine". En revanche, c'est peut-être la première fois que les Chinois tentent de perturber ces activités. A la lumière de cet incident, on peut supposer que la patience des militaires chinois vis-à-vis des opérations des navires-espions de l'US Navy près de leurs côtes est à bout. Ce changement d'attitude est le reflet d'un positionnement de plus en plus agressif des forces armées de Pékin en mer de Chine méridionale. Après trente ans de réformes, la Chine est aujourd'hui plus forte sur le plan militaire, et se sent assez en confiance pour protéger ses intérêts nationaux. Début mars, le gouvernement chinois a annoncé que son budget de la défense augmenterait de près de 15 % cette année, en dépit du fléchissement de l'économie.

Autrefois, les questions de sécurité concernant la mer de Chine méridionale étaient considérées comme trop lointaines pour devenir une priorité pour les dirigeants chinois ou pour inquiéter l'opinion publique du pays. Mais la population chinoise s'en soucie désormais de plus en plus, y compris dans les îles Nansha [Spratly]. Si la Chine et Taïwan revendiquent les Nansha, des pays riverains comme les Philippines, le Vietnam et la Malaisie réclament également la souveraineté sur plusieurs des récifs, qu'ils occupent. Par conséquent, la confrontation navale avec les Etats-Unis pourrait également être interprétée comme un signal du gouvernement de Pékin, bien décidé à montrer qu'il a non seulement la volonté mais aussi les moyens de défendre ses intérêts nationaux présumés en mer de Chine méridionale.

Il est certain que l'on assistera à d'autres escarmouches et frictions entre les deux puissances, mais il est peu probable qu'elles aboutissent à des conflits graves, du moins pas dans un avenir proche. Les deux pays ont aujourd'hui trop d'intérêts communs et ne peuvent s'offrir le luxe d'une rupture. Les Etats-Unis ont besoin de l'argent chinois pour aider leur économie et leur système financier chancelants - la Chine reste le principal créditeur de Washington -, et la Chine a toujours besoin des Etats-Unis pour poursuivre sa modernisation. Il faudra peut-être du temps aux Etats-Unis pour s'adapter à la réalité de la rapide ascension et de la modernisation militaire de la Chine, car ils ne sont pas habitués à faire face à des défis dans leur prétendue sphère d'influence traditionnelle, la zone Asie-Pacifique. Mais ils devraient comprendre aujourd'hui que la Chine n'est plus disposée à toujours se plier à la domination américaine dans la région. Les temps ont changé.

PHOTO - U.S. Navy Adm. Timothy Keating (L), commander of the U.S. Pacific Command, shakes hands with Chinese Chief of General Staff Department General Chen Bingde upon arrival at the Ba Yi Building in Beijing January 14, 2008. / Reuters

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