Décrété jour de fête nationale il y a un an, Qingming, ou la " journée du nettoyage des tombes ", a donné lieu à de multiples commémorations ces trois derniers jours au Sichuan, province ravagée par un tremblement de terre en mai 2008.
La ville sinistrée de Beichuan a notamment été rouverte à des milliers de proches des victimes venus faire brûler, sur les ruines, du papier monnaie ou des objets ayant appartenu aux défunts. Nul ne saurait pourtant prendre ses libertés avec la mémoire des morts : dans nombre de localités où les écoles, mal construites, se sont totalement écroulées alors que la plupart des constructions voisines avaient tenu, les parents des enfants morts se sont vu interdire de se rendre sur les ruines. On les a priés de participer à des activités très encadrées, et certains ont même été menacés. Beaucoup ont tenté en vain ces dernières semaines d'attirer l'attention en se rendant à Pékin pour porter des pétitions. Mais les médias chinois ont ignoré leurs démarches.
Xiang Fangqiang, dont l'enfant a péri dans l'école primaire Xinjian, à Dujiangyan, a rapporté au South China Morning Post de Hongkong qu'il avait été obligé d'assister aux cérémonies officielles le matin, puis de se joindre l'après-midi à une " sortie touristique de printemps " organisée par les cadres locaux du parti. Ces derniers l'avaient prévenu qu'il serait soupçonné de fomenter des " désordres à l'ordre public " s'il se rendait sur le site de l'école détruite.
Les ruines des écoles, où les parents avaient érigé des autels après la catastrophe, ont aussi été décrétées zone interdite à Shifang, où un autre père de famille a raconté à Radio Free Asia que les cadres locaux lui avaient rendu visite deux jours plus tôt pour le dissuader d'en approcher.
Si la question des écoles du Sichuan a une telle acuité, c'est qu'elle dérange : la corruption qui a conduit à des chantiers bâclés et les moyens misérables consacrés par l'état à l'éducation dans ces zones semi-urbaines révèlent une face peu glorieuse de la puissance chinoise.
Les parents enragent d'avoir été dupés par les autorités qui ont organisé des missions d'experts dont les rapports sont restés sans suite malgré les promesses répétées de transparence. " En février, quinze d'entre nous sont allés à Deyang pour voir les officiels. Ils nous ont dit qu'il n'y avait pas de conclusion aux enquêtes, et qu'il faudrait attendre encore. Les compensations que chaque famille a reçues, 60 000 yuans - 6 000 euros - , proviennent de donations. Le gouvernement n'a rien déboursé. Or ce n'est pas juste, on veut que justice soit rendue, mais que peut-on faire, nous, les gens ordinaires si on ne nous donne pas de réponse ? ", nous a dit, au téléphone, Wang Guo-jin, dont la fille de 12 ans a péri dans l'école primaire du bourg de Luoshui.
Le nombre exact des écoliers et lycéens morts lors du tremblement de terre n'a toujours pas été comptabilisé, c'est une question taboue dans les médias. En mars, un vice-gouverneur du Sichuan a ravivé la polémique lorsqu'il a déclaré à la presse chinoise, lors de la tenue de l'Assemblée nationale du peuple à Pékin, que la magnitude du séisme à elle seule avait provoqué l'écroulement des écoles.
A l'approche de l'anniversaire de la catastrophe, ce déni perpétuel de responsabilité a indigné l'artiste Ai Weiwei, connu du grand public pour avoir participé à la conception du Nid d'oiseau, le stade olympique. Celui-ci a lancé en décembre sur Internet un mouvement citoyen pour répertorier le nombre d'enfants morts, et compte parvenir d'ici au 12 mai à une liste finale : " Personne n'a encore pu voir une liste digne de ce nom qui donne ne serait-ce qu'une approximation. Je pense que la moindre des choses pour une liste officielle est de publier clairement les noms, l'âge, la cause et le lieu du décès... J'ai donc considéré que c'était à nous de le faire puisque la manière dont le gouvernement traite de la situation n'est pas transparente ", affirme l'artiste dans une conversation en ligne avec les internautes sur son blog.
A la date du 6 avril, 4 383 noms d'écoliers et de lycéens avaient ainsi été compilés. Selon Ai Weiwei, 200 bénévoles se sont attelés à la tâche de rechercher des informations auprès des parents. Leurs comptes rendus forment un journal d'enquête citoyen, en forme de chronique. Dans le billet daté du 6 avril, dont l'accès est désormais bloqué en Chine, on apprend aussi qu'un couple de parents a été hospitalisé après avoir été frappé par les policiers alors qu'ils se rendaient, le 4 avril, sur le site de l'école de Juyuan, près de Dujiangyan, où leur enfant est mort enseveli. Xu Bing et son épouse, Zhao Guanhua, ont été détenus et harcelés à plusieurs reprises ces derniers mois. Le 9 avril, un autre bénévole raconte avoir été emmené et interrogé par la police alors qu'il tentait de rencontrer des parents.
Si certains articles sont régulièrement effacés, le blog d'Ai Weiwei, très populaire et hébergé par le portail Sina, n'a pas encore été bloqué : la célébrité de l'artiste semble pour l'instant le protéger et pourrait donner un écho inédit à son action militante contre le déni de mémoire.
Ce n'est pas le cas de Tan Zuoren : ce militant de Chengdu, qui s'était mobilisé par le passé contre des projets néfastes pour l'environnement, a lui aussi appelé des équipes de bénévoles à enquêter sur les écoles et à ériger un mémorial sur la Toile. Le militant avait fait circuler en ligne un questionnaire. Il expliquait sa démarche, déclarant que le refus de la justice de traiter de la question des écoles et le silence qui entourait la lutte des parents étaient une " honte pour la justice ", et une " honte collective du peuple chinois ". Selon China Human Rights Defenders, il a été arrêté chez lui le 28 mars.
Brice Pedroletti
Sur le Web - http://blog.sina.com.cn/aiweiwei
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