mardi 5 mai 2009

INTERVIEW - «China Life est un assureur dominant dans un secteur en croissance»

Le Temps - Finance, lundi, 4 mai 2009

Vincent Strauss est cogérant du fonds Comgest Magellan

Rien à voir avec le produit éponyme de Fidelity: le fonds Magellan de la maison parisienne Comgest suit clairement les traces de l'explorateur portugais Fernand de Magellan en se concentrant sur les marchés émergents. Grâce à une approche conservatrice, il fait mieux que l'indice MSCI de ces derniers. Son cogérant Vincent Strauss, un diplômé des HEC de l'Université de Lausanne, explique comment.

Le Temps: Ne craignez-vous pas les effets de la baisse de la consommation sur les exportateurs?

Vincent Strauss: Il y a une crise financière majeure dans les pays développés, dont les banques sont en quasi-faillite. Mais ce n'est pas la fin du monde. La santé de l'économie et du secteur bancaire des pays d'Asie, d'Amérique latine ou de l'Afrique du Sud est bien meilleure. Les crises financières d'il y a une décennie ont fait disparaître les débiteurs les plus fragiles, et le niveau d'endettement général a baissé.

En Europe de l'Est, par contre, la situation est épouvantable, surtout dans les anciennes républiques soviétiques. Cela rappelle en pire la crise asiatique.

L'année 2008 marque la fin d'un «modèle mercantiliste». Des pays comme Taïwan, la Corée ou le Japon ont financé leur développement en exportant vers les pays industrialisés grâce à une devise sous-évaluée. La Chine s'en est partiellement inspirée, mais elle doit trouver de nouveaux relais de croissance interne ou par les échanges sud-sud.

Le développement des pays émergents ne peut plus reposer que sur les exportations vers les pays développés. Il est illusoire de croire que le consommateur américain jouera ces prochaines années le même rôle de consommateur en dernier ressort.

- Quelles sont les perspectives d'investissement à court terme?

- Elles sont très incertaines. Cependant, les pays développés injectent tellement d'argent que cela aura un effet sur l'économie réelle. Dans un univers où tout a l'air très noir, on ne peut pas exclure un rebond conjoncturel. Toutefois, tant que les problèmes des banques américaines et cette situation dangereuse n'auront pas été réglés, je ne pense pas qu'un tel rebond puisse durer. En outre, l'argent n'ira pas forcément s'investir en premier sur les marchés asiatiques. Mais je pense que d'ici trois à six mois, les cours des actions émergentes seront plus élevés qu'aujourd'hui.

- Comment investissez-vous?

- Nous ne suivons pas la composition des indices et investissons à long terme: nous gardons les titres en moyenne environ cinq ans. Nous recherchons de belles histoires, les futurs L'Oréal, Coca-Cola ou McDonald's. Nous sommes actifs sur les marchés émergents depuis trente ans et avons déjà connu des périodes difficiles. Nous avons aussi fait des bêtises. Mais, sur quinze ans, nous avons fait mieux que notre indice de référence. Notre gestion est plus défensive et moins volatile. Par contre, elle peut sous-performer quand le marché monte violemment, comme en mars dernier.

Nous essayons d'être contrariants. Nous sommes devenus prudents en 2007. Aujourd'hui, nous revenons sur des valeurs industrielles largement délaissées.

- Par exemple?

- Nous avons acheté Taiwan Semiconductors, aussi connue sous son abréviation TSMC, au cours des derniers mois, et cette position est une des premières du fonds. Il y a dix ans, ce fabricant de puces électroniques était dans tous les portefeuilles, alors que cette industrie était caractérisée par de faibles barrières à l'entrée. Mais la raréfaction du crédit a créé une nouvelle barrière. Ce métier nécessitant d'importants investissements. Une fonderie de dernière génération coûte 8 à 10 milliards de dollars. TSMC a un bilan sain et pas de problème de financement. La sélection darwinienne fait son oeuvre, et le secteur sera dans une situation d'oligopole vers 2012 ou 2014, peut-être même de duopole, avec TSMC et l'américain Intel.

- Et la Chine?

- Nous en étions totalement sortis fin 2007, en raison de la valorisation. Nous sommes revenus il y a quelques mois sur China Mobile, le meilleur moyen de capter la hausse de la consommation chinoise; le pic de la croissance est passé, mais il n'y a pas de risque sur le modèle d'affaires. De même, nous avons constitué une position sur China Life. Cet assureur est l'acteur dominant dans un secteur en croissance: le taux d'épargne des ménages va globalement baisser en Chine dans les années à venir, mais le taux d'épargne financière va progresser.

- Avez-vous subi des sorties d'argent au cours de ces derniers mois?

- Nous enregistrons plutôt des souscriptions. Les particuliers demandent de la performance absolue. Mais les institutionnels s'intéressent à la performance relative. Nous faisons mieux que l'indice et ils sont contents.

Propos recueillispar Jean-Pascal Baechler

PHOTO - Wang Feng, président de China Life / Reuters

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