samedi 16 mai 2009

INTERVIEW - Le producteur du dernier film de Lou Ye raconte

Le Monde - Culture, vendredi, 15 mai 2009, p. 15

Sylvain Bursztejn : « Il y a quinze ans, j'aurais frappé à la porte de Jack Lang et on m'aurait trouvé une aide »

Propos recueillis par Nathaniel Herzberg et Thomas Sotinel

Sylvain Bursztejn est producteur. Depuis quinze ans, sa société, Rosem Films, s'est spécialisée dans le cinéma d'auteur étranger. Il présente cette année en compétition au Festival de Cannes, Nuits d'ivresse printanière, du réalisateur chinois Lou Ye.

Tourner en Chine l'oeuvre d'un cinéaste interdit par le régime, comment avez-vous procédé ?

Avec discrétion. Nous n'avons rien demandé à personne, pour ne pas qu'ils refusent. Sinon, ils auraient dû nous empêcher de tourner. Or si le film existe, étant donné la réalité chinoise, c'est forcément que les autorités ont fermé les yeux. Lou Ye est interdit, donc ils ne pouvaient pas autoriser le projet. Mais en même temps, le sujet ne les dérangeait pas. L'homosexualité masculine, dont parle le film, est un vieux sujet en Chine.

Pour ces raisons, nous ne pouvions pas faire circuler le scénario. Cela a rendu la recherche de fonds particulièrement difficile.

Comment avez-vous financé le film ?

Mal... Disons que nous avions tous les handicaps. Côté chinois, d'abord : Lou Ye étant interdit, il était impossible pour quiconque de le soutenir. Mais de toute façon, dans le contexte actuel, personne n'aurait voulu le financer. Il y a encore un an, les nouveaux riches chinois trouvaient chic de mettre de l'argent dans le cinéma. C'est terminé : avec la crise, ils ne financent que les films potentiellement rentables. Un film d'auteur comme celui de Lou Ye ne les intéresse plus.

Et en France ?

C'est là que la situation est la plus grave. Le système français s'appuie sur les accords de coproduction signés entre les Etats. Sans accord, vous n'avez plus droit au soutien du Centre national de la cinématographie. Or la Chine a ajourné sine die la négociation après la brouille avec Sarkozy. Donc notre film n'intéresse aucun coproducteur français : aucune télévision n'a voulu nous aider. Je n'ai pu compter que sur l'engagement de la société Wild Bunch, qui assurera la distribution et les ventes à l'étranger. Mais on est loin du compte. Les risques, nous les portons seuls, ce qui, pour ce type de film, n'est pas normal.

Vous n'avez reçu aucune subvention ?

Si, 70 000 euros de la région Ile-de-France parce que le film est fait en numérique, et 120 000 euros du Fonds Sud, destiné à soutenir les oeuvres étrangères et qui dépend du Quai d'Orsay. C'est très peu, évidemment, mais aujourd'hui le Fonds Sud veut soutenir surtout les premiers films et le cinéma d'Europe de l'Est. Ils disent qu'il y a trop de films asiatiques et sud-américains. Effectivement, ce sont deux régions du monde très peuplées. Mais elles font face à une irruption cinématographique. La tradition française a toujours été de soutenir les créateurs, là où ils sont. Je ne veux pas jouer les nostalgiques, mais il y a quinze ans, pour un film pareil, j'aurais frappé à la porte de Jack Lang et on m'aurait trouvé une aide spécifique. C'est fini. Aujourd'hui, la nationalité des artistes importe plus que leur talent.

Le crédit d'impôt international vient d'être voté. Les films étrangers tournés en France vont bénéficier d'une aide fiscale. Bonne nouvelle ?

Ça pose encore un problème de fond. Un film n'est plus vu comme une oeuvre d'art mais comme un pourvoyeur d'emplois. Pour avoir droit au crédit d'impôt, il faut travailler en France. C'est comme ça partout en Europe. Vous vous retrouvez à monter une usine à gaz pour tourner dans deux pays, monter dans un troisième, faire les effets spéciaux dans un quatrième. C'est la seule solution pour bénéficier des aides. Est-ce bon pour le film ? Personne ne s'en soucie.

Le crédit d'impôt pose un autre problème. Il faut un minimum de 1 million d'euros de dépenses en France pour y avoir droit. Un film comme le nôtre est écarté puisque notre budget total est à peine de 1,5 million d'euros. C'est aberrant. Je ne demande pas qu'on augmente la part de financement public. Je vois bien la situation. Il y a des ouvriers au chômage et, au bout du compte, nous ne sommes que des clowns. Mais qu'au moins, on finance tous les clowns.

Sylvain Bursztejn a produit « Nuits d'ivresse printanière », film chinois en compétition

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