France Culture - Chronique internationale, mardi 26 mai 2009
On sait bien que c’est une idée que Jacques Lacan avait développée : la meilleure analyse vient dans «l’après-coup». Effectivement, hier la Corée du Nord a fait exploser une première bombe atomique et puis, dans la nuit, elle en a refait une seconde. Alors, c’est un «après-coup» à tous égards, et on commence à mieux comprendre que le Président Barack Obama est devant sa première crise mondiale. Et il ne l’attendait évidemment pas là. Henry Kissinger me disait il y a longtemps : « Il y a une moyenne de deux crises et demi pour chaque mandat de quatre ans ». Et il pensait que Clinton jusqu’ici avait échappé à tout et que c’était statistiquement impossible que ça continue. D’ailleurs, il y a eu le Kosovo.
Ici, c’est une grande crise parce que la Corée du Nord avait réussi en marchant à reculons, a donné le sentiment qu’elle allait vers un démantèlement de son programme nucléaire et elle vient de décider, au fond depuis un an et demi, qu’il n’en serait rien. Et peut-être, et c’est là où le Président Obama est obligé de réagir avec plus d’énergie qu’il ne l’avait initialement imaginé, parce que les Nord-coréens se sentent à peu près garantis que Washington n’aura pas de réactions trop fortes, et pour ce qui est du Japon, de la Chine et pour ne pas parler de la Corée du Sud, ils pensent pouvoir s’en charger.
Alors, il faut leur démontrer que c’est une erreur. Et la démonstration ne passe pas par le Japon, elle ne passe pas par la Corée du Sud, elle passe par la Chine. Et cela nous oblige d’ailleurs à revoir l’importance et la complexité des rapports entre la Chine et la Corée du Nord. Après tout, pour les dirigeants chinois aussi, cette affaire est un test. Ils ont d’ailleurs voté dans l’unanimité des sanctions contre la Corée du Nord. Ils ne cherchent absolument pas pour l’instant à défendre à minima comme un avocat commis d’office qu’ils ont été à de nombreuses reprises. Mais, ce n’est pas tout.
En fait, il faut comprendre que les dirigeants chinois, du moins ceux de la vieille génération révolutionnaire – Deng Xiaoping en particulier – détestait intensément la Corée du Nord. Il la détestait d’abord parce qu’elle était une espère de butte-témoin du maoïsme, une période qu’ils avaient détestée à leur tour, et quand par exemple, Deng Xiaoping s’était à Pyongyang et publiquement devant ses hôtes inquiétés du prix que pouvait coûter les statues géantes du dictateur, il avait manifesté tout le mépris que lui inspiré le régime. Il faut dire aussi que Kim Il-Sung avait d’abord était pro-soviétique, c’était même un officier semble-t-il des gardes frontières soviétiques et qu’il avait soigneusement éliminé dès le début de la guerre de Corée le grand ami de Mao Zedong, qui s’appelait Mu Jong et qui aurait dû être le véritable leader des communistes coréens et qui était d’ailleurs un homme plus ouvert.
Donc, les Chinois vont à reculons dans la défense de la Corée du Nord, mais longtemps le dogme était qu’on ne pouvait pas avoir comme ça une régression du socialisme aux frontières de la Chine sans conséquence gravissime. Une Corée du Sud, allié aux États-Unis, frontalière de cette région stratégique de la Mandchourie était impensable. Soit. De toute façon, personne ne demande la disparition de la Corée du Nord, mais des sanctions. Et c’est là où effectivement la Chine a joué en souplesse et en force.
Bien sûr, le vote des sanctions ne mettra pas la Corée du Nord à genoux. Mais en revanche, elle peut créer un parti de la paix en Corée du Nord, un parti de la paix qui évidemment ne être composé que de militaires et de policiers. Et les seuls qui ont accès à ces gens-là, ce sont les Chinois. Par conséquent, on va voir ce que la Chine va vouloir faire. Elle peut jouer, et c’est le bon sens cynique qui le lui commande, finalement les arrêts de jeu en laissant le Japon s’enfermer, en laissant la crise pourrir, en prenant à minima des gestes symboliques au Nations Unies, mais évidemment, à ce moment-là, la Chine perdra beaucoup. Et elle perdra surtout, ce n’est pas tellement les États-Unis qui n’ont pas les moyens de s’opposer à elle, mais c’est le Japon.
Le Japon s’est rapproché spectaculairement de la Chine avec la Corée du Sud à la faveur de la crise. Il s’agit d’un développement prometteur. Celui-ci pourrait s’arrêter net si la Chine, une fois de plus choisissait la carte nord-coréenne.
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