mardi 12 mai 2009

La reconstruction du Sichuan est en marche - Dorian Malovic

La Croix, no. 38356 - Evénement, mardi, 12 mai 2009

Le Sichuan panse ses plaies

Un an après le séisme qui a fait plus de 90 000 morts et disparus, et 5 millions de sans-abri, près d'un quart des bâtiments ont été reconstruits. Mais dans les zones les plus reculées, il faudra encore du temps pour retrouver une vie normale.

«J'ai observé une plus grande sérénité parmi la population de Wenchuan et j'ai vu de plus en plus de sourires sur les visages, lorsque je me suis rendu sur place le mois dernier, pour la troisième fois depuis le séisme de l'année dernière », raconte une jeune reporter chinoise d'un des plus grands quotidiens du Sichuan basé à Chengdu, la capitale régionale (voir la carte p. 3). Pour des raisons de sécurité, elle ne désire pas donner son nom : « Trop de choses en Chine sont considérées comme secret d'État. Alors vous comprenez... Mais je pense qu'il faut faire savoir comment avance la reconstruction de la région et de Wenchuan », la ville la plus proche de l'épicentre, presque entièrement dévastée par les secousses de niveau 8 sur l'échelle de Richter, et où s'était immédiatement rendu le premier ministre chinois.

« Wenchuan a été pratiquement détruite et la reconstruction a commencé à quelques kilomètres de ce que les gens appellent déjà l'ancienne ville », raconte cette journaliste chinoise, bien consciente d'avoir pu pénétrer des lieux auxquels de nombreux journalistes occidentaux n'ont pu accéder. « Depuis le mois de février, après un hiver terrible où les gens vivaient dans des tentes, la majorité des survivants de Wenchuan ont pu être relogés dans des habitations temporaires préfabriquées. Il reste toutefois une zone où rien n'a encore été fait... »

Impossible d'obtenir le moindre chiffre sur la population globale, pas plus que sur le nombre de victimes pour Wenchuan, tout comme pour l'autre ville de Beichuan, au nord de l'épicentre, où 80 % des bâtiments de la vieille ville et 60 % de ceux de la ville moderne ont été détruits. Les estimations parlent de 3 000 à 5 000 victimes. « Là encore, pour Beichuan où je suis allée, les maisons temporaires restent majoritaires. Mais déjà 20 000 personnes ont pu s'installer dans de nouveaux logements construits dans la périphérie de l'ancienne ville. » « Il est certain que tout n'est pas parfait », souligne un Occidental habitant depuis près de dix ans à Chengdu et qui s'est engagé dans l'association « Sichuan Quake Relief », créée le lendemain du séisme par une poignée d'étrangers et de Chinois pour apporter leur aide et des financements à la reconstruction. Plusieurs ONG internationales se sont greffées sur cette association, qui intervient dans le domaine médical, psychologique, et en faveur de l'éducation, qui a pu recueillir plusieurs millions de yuans. « Il faut prendre la mesure de la catastrophe », insiste Chloé, jeune Française qui a créé, avec David, le café Panam il y a quelques années et qui s'est impliquée pour mobiliser la communauté étrangère. « Vous imaginez ce que représentent 5 millions de sans-abri ! C'est Paris intra-muros. La mobilisation a été générale dans toute la Chine pour faire face au défi, il y a vraiment eu une solidarité nationale qui se poursuit encore aujourd'hui sans faiblir. »

Urbaniste sichuanais formé en Europe et travaillant à Shanghaï, Zhu Ping, la trentaine, est revenu spécialement à Chengdu quelques semaines après la catastrophe pour apporter son expertise dans la reconstruction : « J'ai laissé tomber un très bon emploi pour aider à la renaissance de ma province natale, où plus de 50 000 villes et villages ont été détruits. » Il se rend avec des équipes spécialisées dans les endroits les plus reculés pour évaluer, compter, rebâtir. « Le gouvernement a alloué, l'année dernière, plus de 10 milliards d'euros à un fonds spécial pour les victimes et la reconstruction. Il existe un programme de trois ans pour tenter de tout remettre en place », détaille ce spécialiste, d'ordinaire très critique à l'égard des autorités sichuanaises qui ont reçu beaucoup d'argent pour construire des écoles et hôpitaux de mauvaise qualité. « Tous les gouvernements locaux ont été sollicités, poursuit-il. Chaque province, chaque métropole de province a dû prendre en charge une ville ou un district sinistré. »

Par exemple, la ville de Shanghaï, qui a un statut autonome, a en charge la grande ville touristique de Dujiangyan, la plus proche de Chengdu. Yingxiu, qui a vu mourir la moitié de ses 10 000 habitants, a été confiée à une grande ville du Shaanxi. Et ainsi de suite. « En échange, chacune de ces provinces paiera moins d'impôts au gouvernement central », explique Zhu Ping.

« Pour autant, les familles qui ont tout perdu ne recevront pas gratuitement leur nouveau logement, explique-t-il encore, mais les prix seront très bas. » En ville, les terrains à construire sont hors de prix. Mais ce n'est pas le cas dans les campagnes. « Les promoteurs choisis pour la reconstruction, précise Zhu Ping, ne pourront pas faire plus de 5 % de bénéfice (contre 50 ou même 100 % parfois en ville). Les logements seront donc presque à prix coûtant. Le gouvernement va aider les familles à hauteur du quart du prix et des prêts bancaires à taux réduits seront octroyés. » Ainsi, un appartement de 100 m2 pourra coûter 80 000 yuans (8 600 €). Le gouvernement versera 20 000 yuans (2 100 €), le reste sera payé par la famille. De surcroît, les reconstructions ailleurs que sur le site originel seront encore moins chères.

Pour le moment, tous ceux qui vivent dans des habitations temporaires ne paient pas de loyer. « Les écoles ne sont pas encore reconstruites, ajoute un collègue de Zhu Ping. Les cours ont lieu aussi dans du temporaire. Le gouvernement local ne veut pas reconstruire n'importe comment et prend son temps. Mais le pouvoir central exerce de fortes pressions pour accélérer encore la reconstruction. Le risque de mal faire m'inquiète... »

Pour la première fois, il y a quatre jours, Pékin a donné le chiffre de 5 335 enfants morts ou disparus - chiffre déjà contesté (lire p. 2). Enfin, le sort des enfants qualifiés « d'orphelins » (ils seraient près de 5 000) reste incertain. Leur nombre est « un secret d'État » selon notre journaliste de Chengdu, qui parle toutefois de « 57 orphelins » aujourd'hui au Sichuan. « On sait que les oncles, tantes, grands-parents ont pris en charge des enfants de leur famille, et que des "familles d'accueil" ont été sélectionnées pour prendre en charge des enfants seuls. Certaines ont également pu adopter un enfant, même si elles en avaient déjà un. » Mais aucun chiffre précis n'existe à ce jour. « Quant aux couples qui ont perdu leur seul enfant, le gouvernement leur avait donné le droit d'en concevoir un autre. J'ai vu plusieurs femmes enceintes durant mes déplacements et j'ai appris qu'à Beichuan, le mois dernier, le premier bébé d'un de ces couples était né. »

Encadré(s) :

Au moins 5 000 élèves tués durant le séisme

Le gouvernement chinois a révélé jeudi, pour la première fois, le nombre d'élèves morts ou disparus un sujet très sensible en raison des plaintes des parents qui réclament la vérité. Tu Wentao, responsable du département de l'Éducation du Sichuan, lors d'une conférence de presse, a donné le chiffre de 5 335 morts ou disparus. Le sort de ces enfants est devenu la question la plus controversée de l'après-séisme. Des parents ont évoqué des cas possibles de corruption, soulignant que beaucoup d'établissements scolaires s'étaient effondrés comme des châteaux de cartes alors que d'autres bâtiments publics n'avaient pas bougé. Mais ceux qui réclamaient des comptes ont été intimidés par les autorités locales, après avoir manifesté, alors que la propagande du régime préférait mettre l'accent sur l'unité de la patrie face à l'adversité.Interpellé un mois après le séisme, alors qu'il commençait à soutenir des parents d'enfants, un militant des droits de l'homme, Huang Qi, a été arrêté et attend son procès pour « possession illégale de secrets d'État ». Selon sa famille et les organisations des droits de l'homme, c'est cet engagement qui est à l'origine de son arrestation. Les médias officiels avaient évoqué précédemment l'effondrement de 14 000 écoles, la moitié complètement détruites, et la mort de 9 000 élèves. Ce chiffre est peut-être plus proche de la réalité, mais il reste impossible à vérifier pour le moment.

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