mardi 19 mai 2009

NINA WANG - Succession Story à Hongkong - Pascalle Nivelle

Libération, no. 8717 - Monde, mardi, 19 mai 2009, p. 8

L'ancienne colonie britannique se passionne pour l'héritage de Nina Wang, milliardaire décédée en 2007, que se disputent encore sa fondation, Chinachem, et son gourou en feng shui, Tony Chan.

Tony Chan sera-t-il l'un des hommes les plus riches du monde ? Cet ancien barman devenu «maître de feng shui» joue son destin devant un tribunal de Hongkong, qui décidera à qui reviendra l'héritage de la plus riche et plus extravagante milliardaire d'Asie, Nina Wang. Le gourou de 49 ans a déjà produit à la barre des photos de ses ébats avec Nina, de vingt-deux ans son aînée, en nattes et minijupe, sa tenue favorite. En face, la fondation caritative Chinachem, créée par Nina Wang, hurle au faux testament et dépeint la défunte en modèle de vertu. Un spectacle de marionnettes, joué à deux pas du tribunal, immortalise l'indéfectible amour de Nina pour son mari Teddy.

Deux ans après sa mort, la chronique de celle que les médias ont nommée Little Sweetie (petite chérie), continue. Et Hongkong se délecte. Le dernier voyage de Nina, emportée par un cancer à 69 ans, date d'avril 2007. Un fourgon funéraire de la taille d'un wagon, couvert d'orchidées blanches et d'une énorme gerbe de roses rouges en forme de coeur, avait défilé devant le gratin hongkongais en grand deuil. Tony Chan était aux premières loges, dans le rôle de l'ami cher et éploré. Le cortège avait fait le détour par la Nina Tower, siège de l'empire Chinachem (200 autres tours et 400 sociétés dans le monde). De son vivant, Teddy Wang, le mari de Nina, avait imaginé en faire la plus haute tour de Hongkong. Mais l'administration l'avait bloqué en raison de la proximité de l'aéroport. Le tycoon de l'immobilier, contraint de scinder son rêve, avait accolé une Nina Tower à une Teddy Tower. Entre les deux, une passerelle, pour sceller à jamais l'union des Wang. Un couple de légende, comme les aime la Chine.

Betty Boop asiatique. Amis d'enfance dans le Shanghai des années 40, Teddy et Nina avaient évité la période glaciaire maoïste pour s'épanouir au soleil de la colonie britannique. Un quart de siècle plus tard, ils étaient à la tête de 4,2 milliards de dollars. Mais aujourd'hui, on ne parle plus de la Teddy Tower. La tour s'appelle Nina. Dans le hall du gratte-ciel de 80 étages, trône une étonnante statue de Nina Wang, en Betty Boop asiatique, nattes et jupe relevées. Le mari a été effacé. Au propre et au figuré. Car Teddy Wang a disparu en 1990. Enlevé, a-t-on supposé. Ce n'était pas la première fois. En 1983, le déjà magnat avait été kidnappé et libéré prestement contre une rançon de 11 millions de dollars, payée cash par la famille. Mais sept ans plus tard, pas de maître chanteur, ni aucune nouvelle. En 1999, Teddy Wang est déclaré officiellement décédé à la demande de son père, qui s'empresse de réclamer l'héritage. Nina ne l'entend pas ainsi. Chacune des deux parties produit un testament signé de la main du disparu, l'affaire est jugée par un tribunal, et devient bientôt une saga chroniquée chaque jour par la presse de Hongkong.

Tour à tour ange et démon, Nina Wang est interpellée pour faux en écriture un jour, innocentée le lendemain. Souriante et minaudeuse, elle ne lâche pas l'affaire. Elle perd un procès, en gagne un deuxième. A 67 ans, en 2005, elle finit par l'emporter avec les honneurs sur son beau-père de 90 ans, qui a produit un testament en sa faveur daté de 1968. Son fils se plaignait déjà, dit le beau-père, des infidélités de sa femme.

Charismatique. C'est à cette époque qu'apparaît le maître de feng shui Tony Chan. Serveur, barman, homme de la nuit, Tony s'est spécialisé dans cette discipline chinoise censée harmoniser les lieux et les âmes en canalisant les énergies. Lors de «rencontres de minuit» régulières, il aurait envoûté la dame aux nattes. Celle-ci était réputée pour ses goûts simples, s'habillant dans les boutiques de rue, adorant les hamburgers, réclamant des doggy bags dans les palaces. Elle a généreusement rétribué les services de son mentor. En quelques années, Tony Chan aurait touché près de 250 millions de dollars. «C'est bien suffisant», argumentent les avocats de la fondation Chinachem au tribunal de Hongkong qui juge la succession de Nina. Tony produit un testament daté de 2006 dans lequel Nina lui lègue toute sa fortune, et des témoignages posthumes de leurs amours. La Chinachem riposte par un document dans les mêmes termes, signé en 2002. Soit avant le cancer de Nina, remarquent les hommes de loi, qui s'efforcent de brosser le portrait d'une femme charismatique uniquement portée sur ses bonnes oeuvres. Tout cela ressemble à un remake du procès de 2005. Avec des révélations. Au troisième jour de l'audience, qui s'est ouverte lundi pour huit semaines, un témoin cité par la fondation a expliqué que la milliardaire avait joué de son influence pour oeuvrer à la reprise du dialogue entre la Chine et le dalaï-lama. Et qu'elle aurait volontiers reçu le prix Nobel de la Paix pour cela.

PHOTO - Tony Chan Chun-chuen, cravate bleue, mai 2009 / Getty Images

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