Le président Hu Jintao aurait-il un brin « perdu la face » face à la communauté internationale en annulant sa participation au dernier G8 pour reprendre la main sur la crise du Xinjiang ? Aveu de forte fébrilité, voire début de panique ? Le geste n'en finit pas de surprendre et la question est explicitement posée par la presse de Hongkong. Ce n'est pas une simple visite bilatérale sur laquelle le chef de l'État chinois a décidé de faire l'impasse, mais un sommet réunissant les plus grands de ce monde, qui plus est agrémenté d'un tête-à-tête prévu en coulisses avec Barack Obama. À l'évidence, l'alerte est chaude.
Les défis posés à Pékin par les émeutiers d'Urumqi se lisent à deux ou trois niveaux. Il y a d'abord la question de la gestion des minorités. Au-delà de la coupable et folle violence des émeutiers ouïgours, les dirigeants chinois savent bien qu'il y a en toile de fond un terrible problème de frustration économique, un sentiment de marginalisation démographique et d'asphyxie culturelle. Cela n'excuse rien, mais devrait obliger les dirigeants chinois à repenser leur politique dans ces immenses marches de l'empire. Bien sûr, comme au Tibet, la Chine a largement les moyens de rétablir l'ordre au Xinjiang. Mais les sempiternelles recettes d'une répression implacable « d'une minorité criminelle » et « l'éducation » du reste de ces turbulentes populations risquent de se révéler à terme un peu courtes. Comme l'estime Jean-Pierre Cabestan, professeur à la Baptist University à Hongkong, « l'évolution vers une situation de ségrégation et d'apartheid rampant est lourde de dangers pour la Chine, alors que l'harmonie est un dogme officiel et que bien d'autres tensions dans le pays imposent d'améliorer les modes de gestion des conflits ».
Plus largement, les émeutes du Xinjiang renvoient en effet à d'autres mécontentements, non plus ethniques mais sociaux, qui sont loin de s'apaiser dans un contexte de crise et de montée des inégalités. Les convulsions d'Urumqi battent en brèche le concept d'harmonie sociale. Et montrent les limites de la théorie - encore martelée il y a un mois pour l'anniversaire de Tiananmen - selon laquelle le développement économique et la prospérité valent bien de mettre en sourdine les revendications de davantage de libertés individuelles ou de dignité politique. À quelques semaines de la célébration du 60e anniversaire de la République populaire, moment important dans la carrière du président Hu Jintao, ces violents constats d'échec sont fâcheux.
Enfin, il y a ce que l'affaire du Xinjiang peut révéler de vulnérabilités institutionnelles et politiques au sein du régime chinois. « Sans dramatiser, cela montre que le régime est moins assuré qu'il ne veut l'avouer, qu'il est plus inquiet et plus vulnérable qu'on ne le pense généralement », estime encore Jean-Pierre Cabestan. Sur le plan du fonctionnement, le retour en catastrophe du président chinois de l'étranger montre les limites d'un système extrêmement centralisé. Parmi les responsables civils, seul le président Hu Jintao, avec sa casquette de président de la commission militaire centrale, a par exemple les moyens de « gérer » l'Armée populaire de libération. Il fallait aussi qu'il soit là pour dégager un consensus entre les « neuf empereurs », les neuf membres du tout-puissant comité permanent du bureau politique du Parti communiste, qui s'est réuni en urgence à peine l'avion de Hu Jintao posé à Pékin. Même si tout ce petit monde finit par faire front pour garantir la sacro-sainte « stabilité », le Xinjiang est sans nul doute une arme de plus utilisable dans les luttes entre différents courants.
L'épisode se traduira-t-il par un durcissement ou au contraire la prise de conscience d'une nécessité de plus de réformes ? Il est trop tôt pour le dire, mais, d'ores et déjà, il est sûr que l'histoire dépasse largement ce que certains à l'étranger voient comme une tragique mais finalement périphérique et exotique poussée de fièvre.
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