mardi 27 octobre 2009

LITTÉRATURE - Survivre aux crises par Jacques Attali

Marianne, no. 652 - Idées, samedi, 17 octobre 2009, p. 82

Après la crise... les crises !

Croissance folle, hyperinflation, effondrement monétaire : dans son dernier ouvrage*, Jacques Attali montre pourquoi, sans sursaut citoyen, la planète court à sa perte. Extraits.

EXTRAITS

Par-delà ce que la crise actuelle nous réserve, bien d'autres crises - économiques, climatiques, écologiques, sanitaires, politiques - s'annoncent comme probables durant la prochaine décennie (en sus des crises personnelles qui ne manqueront pas d'affecter chacun d'entre nous). Elles exigeront, elles aussi, des stratégies de survie spécifiques.

A. D'autres crises économiques

D'autres accidents peuvent survenir dans l'économie mondiale et altérer encore le cours des événements, ajoutant aux dangers à venir pour chacun des habitants de ce monde. En voici quelques-uns.

L'insuffisance des fonds propres des entreprises

Dans les économies occidentales, les fonds propres des entreprises sont tout aussi insuffisants que ceux des banques. Beaucoup d'entreprises sont en effet hyperendettées : celles rachetées sous LBO comme celles qui ont versé des cautions excessives à leurs banques. Toutes auront le plus grand mal à trouver des fonds, les banques préférant spéculer pour leur propre compte plutôt que d'investir en capital dans les entreprises, et préférant même pousser celles-ci à la faillite plutôt que d'en devenir actionnaires.

A cela va bientôt s'ajouter la réforme, dite "Solvency II" [**], des compagnies d'assurances, qui entrera en vigueur en 2012 et les conduira à moins placer leurs capitaux dans les entreprises non cotées, à plus les risquer sur les marchés, pénalisant d'autant le financement des entreprises et mettant à risque les placements des caisses de retraite. Il faudra trouver des actionnaires, à moins d'imaginer un capitalisme sans capitalistes...

L'explosion de la "bulle" chinoise

L'économie chinoise, principale économie encore en très forte croissance, pourrait s'effondrer sous le poids de l'énormité des crédits accordés par la Banque du peuple, entraînant une dévalorisation massive des actifs chinois (immobilier et actions). Cette explosion de la "bulle" pourrait survenir quand les marchés réaliseront l'énormité des surcapacités de production de l'empire du Milieu. Pour ne prendre que l'exemple du marché du fer, les stocks de ce minerai dans les ports chinois s'élèvent en octobre 2009 à près de trois mois de consommation, contre moins d'un mois habituellement, alors même que les producteurs d'acier chinois sont confrontés à des stocks pléthoriques de produits finis (leurs usines pouvant produire 660 millions de tonnes, alors que la demande n'est que de 470 millions de tonnes) et que plus de 200 milliards de dollars sont pariés sur le cours du fer sous forme de produits financiers structurés. Il en va de même pour le gaz naturel et bien d'autres matières premières. Cet état de choses pourrait entraîner un jour un effondrement brutal des marchés boursiers chinois, un ralentissement de la croissance de ce pays bien au-dessous de 8 %, avec de graves risques sociaux et politiques, et une chute des marchés financiers mondiaux, ce qui fermerait encore davantage le marché du crédit aux entreprises et conduirait plus sûrement encore le monde vers une nouvelle dépression.

Des tentations protectionnistes

La régression du commerce mondial provoquée par le seul jeu de la récession peut aussi inciter chaque pays à vouloir protéger ses emplois et à forcer les entreprises et les banques subventionnées par les contribuables à concentrer leurs achats et leurs recrutements sur le territoire national. Bien des décisions récentes vont dans ce sens : le comportement du Congrès américain, de la Chambre des communes et du Bundestag vis-à-vis de leurs banques, le Buy American Act, le Chinese Act, le doublement par la Corée du Sud des taxes à l'importation de blé, de farine et de gaz naturel, les restrictions mises par l'Inde aux importations de jouets chinois, les décisions de l'Indonésie, celles du Brésil et de l'Opep réservant aux compagnies nationales l'accès aux futurs gisements pétroliers, l'enlisement des négociations du cycle de Doha de l'OMC... Tout cela annonce la mise en place d'un protectionnisme qui aurait naturellement des effets désastreux sur la reprise de la croissance mondiale.

L'hyperinflation

L'énorme masse de 5 trillions de dollars de liquidités créée par les banques centrales, la croissance des déficits publics et la remontée des prix des matières premières pourraient aboutir un jour à un retour de l'inflation en plein milieu de la dépression - et, par là, à un véritable Weimar planétaire. D'une certaine façon, cette inflation se manifeste déjà dans la hausse des valeurs boursières ; elle pourrait se poursuivre par une hausse de l'immobilier, des matières premières et des produits dérivés. Si elle s'étendait aux prix des produits agricoles et industriels, elle aurait l'avantage d'éliminer les dettes publiques et privées, mais au prix d'une dévalorisation radicale des patrimoines financiers des plus faibles.

Elle est cependant très largement freinée par la globalisation, qui pousse à la baisse des prix des biens et du travail, et par la très faible vitesse de circulation de la monnaie. En effet, les banques, on l'a vu, utilisent les liquidités qu'elles reçoivent pour augmenter leurs profits et leurs fonds propres, et non pour relancer les crédits à l'investissement. De plus, même si les banques commerciales devenaient plus audacieuses dans leurs prêts, les banques centrales disposeraient encore de quelques outils pour réduire la vitesse de circulation de la monnaie et la taille du bilan des banques : l'inflation des flux reste cependant, à terme, une quasi-certitude, ajoutant de nouvelles menaces à celles qui pèsent déjà sur les gens, les entreprises, les nations.

L'effondrement du dollar

Le dollar aurait dû être depuis longtemps détrôné comme monnaie de réserve par d'autres devises en raison de l'énormité de la dette publique, interne et externe, des Etats-Unis. De fait, le jour où les pays créditeurs perdront confiance dans la devise américaine et trouveront des endroits plus sûrs et plus rémunérateurs où placer leurs capitaux, ils cesseront d'acheter des bons du Trésor américain, tenteront de se débarrasser des dollars qu'ils détiennent, et se lanceront dans une vaste offensive diplomatique en vue de remplacer le dollar comme monnaie de réserve par les DTS (droits de tirage spéciaux) ou par un panier de monnaies.

Pour pouvoir continuer à financer leurs déficits, les Américains devront alors se résigner à une hausse des taux d'intérêt servis aux acheteurs de leurs bons du Trésor, surenchérissant le coût du service de leur dette, aggravant encore par là leur déficit et le discrédit du dollar : ce qui aura, là aussi, des conséquences désastreuses pour l'économie mondiale, les nations, les entreprises et les particuliers. Cette issue surviendra un jour, au cours de cette crise ou pendant la suivante, pour des raisons politiques plus qu'économiques. En particulier si l'euro se renforce et si le yuan chinois devient convertible.

La faillite de la Fed

Le dernier risque économique, le moins probable mais le plus systémique, serait celui d'une faillite de la Réserve fédérale américaine. En effet, les profits faits par les banques en plaçant à la Fed des produits structurés - qui, en réalité, ne vaudront un jour presque rien - se traduiront à terme, pour celle-ci, par des pertes qu'elle devra d'abord comptabiliser dans son bilan (qui est de l'ordre de plus de 4 trillions de dollars), puis couvrir soit par des emprunts faits à l'Etat, soit par une subvention de ce dernier. Or, on voit mal l'Etat fédéral emprunter à la banque centrale de quoi couvrir les déficits de celle-ci !

On entrerait alors en territoire totalement inconnu...

B. Une crise énergétique majeure : les "peak oil"

On peut s'attendre dans les toutes prochaines années à une insuffisance, d'abord provisoire puis définitive, de la production de pétrole. Celle-ci entraînera une crise économique majeure à laquelle, là encore, rien ne nous aura préparés, et à laquelle il faudra apprendre à survivre.

Le premier plafond, ou "peak oil technique", désigne le moment où la production deviendra provisoirement inférieure à la demande en raison de l'insuffisance des investissements consacrés à la prospection. Le second plafond, ou "peak oil absolu", désigne le moment où la moitié de toutes les réserves de pétrole mondiales prévisibles aura été consommée et où commencera véritablement l'épuisement des réserves restantes.

Le [pic pétrolier] technique est pour bientôt : la crise économique actuelle ralentit en effet massivement les investissements en exploration pétrolière, ce qui réduira l'offre disponible à moyen terme. De plus, même si la crise se prolonge, la demande en pétrole augmentera avec l'arrivée sur la planète de 1 milliard de personnes supplémentaires en dix ans.

Le peak oil technique conférera un pouvoir considérable aux pays du Golfe qui, disposant seuls des ressources permettant de le dépasser rapidement, pourront le manipuler à leur guise et bénéficier des hausses de prix en découlant.

Le peak oil absolu sera atteint à une date beaucoup plus incertaine : selon l'Agence internationale de l'énergie, il aura lieu avant 2030, car, pour maintenir la consommation mondiale à son niveau actuel, il faudrait trouver, d'ici là, l'équivalent de quatre fois les réserves de l'Arabie saoudite, et, pour faire face à une croissance régulière de la demande, trouver l'équivalent de six fois ces réserves, ce qui est inconcevable, à moins d'utiliser les schistes bitumineux d'Amérique, moyennant d'énormes dégâts écologiques.

Pour les géologues de l'Association For The Study Of Peak Oil And Gas, le peak oil absolu sera atteint dès 2014-2018 ; pour d'autres, plus optimistes, il ne le sera que vers 2060. Ce peak oil sera suivi d'un autre pic pour le gaz, dix ans plus tard, et quarante ans après pour le charbon. De l'avis d'autres experts, ce choc n'aura jamais lieu, car on aura déjà amorcé la transition vers d'autres sources d'énergie, comme ce fut le cas lorsqu'on passa du bois au charbon de terre, puis, aux XIXe et XXe siècles, au pétrole.

Quelles que soient la date et la forme du peak oil, la production de brut baissera de 4 % par an ; il faudra alors diviser par quatre, sur vingt ans, les quantités d'énergie fossile utilisées par personne, et réorienter massivement l'économie et le mode de vie de chacun pour n'employer le pétrole que là où il est provisoirement irremplaçable, c'est-à-dire dans les transports individuels par l'automobile et l'avion.

Ces échéances demeurent pour l'heure incertaines, les producteurs et les compagnies pétrolières ayant plutôt intérêt à faire croire que le peak oil est proche, afin de faire monter les prix. En effet, dès que cette évolution sera ressentie comme vraisemblable, le cours du pétrole repassera au-dessus des 100 dollars le baril, entraînant là aussi le risque d'une nouvelle dépression planétaire.

A cela il faut ajouter la raréfaction prévisible d'autres matières premières comme le lithium, essentiel aux piles électriques, et dont le plus important gisement se trouve en Bolivie.

C. Une crise écologique majeure

L'accroissement de la classe moyenne mondiale conduira inexorablement à une hausse de la consommation des produits de base et donc à l'augmentation de leurs prix. L'Inde et la Chine, qui consomment déjà plus de la moitié du charbon, du fer et de l'acier mondiaux, en consommeront bientôt les deux tiers. Et l'Afrique va bientôt s'y joindre. La demande en produits alimentaires va également exploser et, pour la satisfaire, ces pays commencent déjà à acheter ou louer des terres en Afrique, en Asie orientale, en Amérique latine et jusqu'en Russie. La demande d'eau va elle aussi beaucoup augmenter, surtout dans l'agriculture, alors même que l'offre se réduira par l'effet conjugué de l'urbanisation, de la sécheresse et du gaspillage qui fait perdre chaque année au monde l'équivalent des productions hydrauliques de l'Inde et des Etats-Unis réunies.

Ces évolutions provoqueront dès la prochaine décennie une accélération des émissions de gaz carbonique ; elles représentent aujourd'hui en France 9 t annuelles par habitant et 23 t aux Etats-Unis. Si la moyenne mondiale ne descend pas à 2,5 t par habitant, cela engendrera une crise climatique dont on vivra les conséquences sous la forme de températures extrêmes, de tempêtes, de sécheresses, d'inondations, avec les mouvements de population subséquents. Là encore, il faudrait d'ores et déjà s'y préparer et trouver les façons d'y survivre.

On peut plus particulièrement s'attendre autour de 2025 à une crise liée à l'accélération de la destruction, par les émissions de gaz carbonique, du corail sous-marin qui joue un rôle essentiel dans la survie de l'espèce humaine : les récifs de corail abritent en effet un tiers des espèces marines ; ils protègent les côtes des raz de marée et empêchent la prolifération d'une algue, le Gambierdiscus toxicus, qui rend les poissons toxiques. Or, ces récifs sont condamnés à l'extinction rapide par l'acidification et l'augmentation de la température des océans, liées l'une et l'autre à l'émission de gaz carbonique. Les récifs, qui restent sains à des teneurs en gaz carbonique de 350 parties par million (ppm), sont en effet déjà affectés au niveau actuel, qui est de 387 ppm. Environ 40 % des récifs coralliens, surtout dans l'océan Indien et dans les Caraïbes, sont déjà plus ou moins dégradés ; 10 % sont irrémédiablement perdus ; la Grande Barrière de corail d'Australie pourrait être très largement dégradée d'ici à dix ans et mourir d'ici à quelque vingt ans ; tous les récifs coralliens du monde sont même menacés d'extinction d'ici au milieu du siècle ; ce qui entraînerait l'extinction de la vie dans les océans et, à terme, des conditions de survie de plus en plus difficiles pour l'humanité.

D. La crise de la santé et de l'éducation

Une tout autre crise, aux impacts immenses sur la survie de chacun de nous, guette aussi le monde, à quoi personne, là non plus, ne se prépare vraiment. Là encore, elle sera le résultat de l'accumulation des déséquilibres liés à des tendances de long terme. Partout, l'élévation de l'espérance de vie conduit à une augmentation massive des dépenses de santé et de leur part dans le PIB. Partout, des technologies de diagnostic et de soins de plus en plus coûteuses sont appliquées à un nombre croissant d'individus. Bien que l'efficacité du système de santé mondial soit en progrès (l'espérance de vie augmente vite presque partout ; et, dans certains pays comme la France, l'espérance de vie en bonne santé augmente plus vite encore), sa productivité économique ne croît pas aussi rapidement que celle de l'industrie, car elle reste avant tout un ensemble de services délivrés par des personnes à d'autres personnes. Aussi les dépenses de santé ne peuvent-elles en définitive qu'augmenter en valeur absolue comme en valeur relative.

Aux Etats-Unis, par exemple, qui connaissent une situation paroxystique et un système hospitalier très peu performant, la part des dépenses de santé dans le PIB est passée de 12 % en 1990 à 18 % en 2009 (elle n'est encore que de 11 % en France). [...]

Si la tendance actuelle se poursuit, les dépenses mondiales de santé augmenteront d'au moins 5 % par an, quelle que soit la croissance du PIB de chaque pays, quels que soient les mécanismes de contrôle mis en place, et même si l'accent est davantage mis sur la prévention, sur les médicaments génériques, sur les contrôles et sur les hôpitaux et cliniques à but non lucratif. En 2030, les Américains dépenseront pour leur santé au moins 25 % du PIB ; cette part sera de 30 % en 2040 et de 50 % en 2080. La tendance sera la même ailleurs. Cela restera une bonne nouvelle aussi longtemps qu'elle s'accompagnera d'une hausse de l'espérance de vie ; mais elle exigera que soit trouvée une bien meilleure gouvernance du système de santé et des recettes (publiques, assurantielles ou privées) pour financer ces services ; sinon, ils seront - ils sont déjà - rationnés au détriment des plus pauvres ; et, là encore, la survie, au sens littéral, deviendra on ne peut plus difficile.

Ces dépenses ne pourront vraiment baisser, au moins en valeur relative, que lorsqu'une part notable des services rendus aujourd'hui par le personnel soignant auront été remplacés par l'activité de machines et de prothèses, sans conséquences néfastes sur la qualité du diagnostic et des soins.

Le même raisonnement pourra être tenu ultérieurement à propos de l'éducation dont le coût augmentera considérablement (surtout si l'on tient compte des besoins croissants en formation continue) aussi longtemps que les technologies pédagogiques et les neurosciences n'auront pas réussi à provoquer l'industrialisation massive de machines à enseigner, qui n'aura lieu que bien après celle des techniques thérapeutiques et devra, là aussi, ne pas nuire à l'acquisition des connaissances, si essentielle, on le verra, à la survie.

E. Une pandémie incontrôlable

Là encore, la globalisation des marchés et la libre circulation qu'elle favorise laissent craindre la probabilité dans la prochaine décennie d'une ou plusieurs pandémies constituant une menace majeure pour la survie de nombre de gens, d'entreprises, de pays, une crise à la fois sanitaire, économique et humaine de vaste ampleur, en ralentissant la circulation des gens et des objets. Par exemple, le coût économique d'une pandémie de grippe H1N1 (la première et la plus limitée parmi celles qui s'annoncent) oscillerait entre 0,7 % du PIB mondial (si elle était du niveau de la grippe dite "de Hongkong" de 1968) et 4,8 % si elle était du niveau de la grippe dite "espagnole" de 1918, qui fit entre 50 et 100 millions de victimes). Aux Etats-Unis, elle pourrait causer la mort de 90 000 personnes ; jusqu'à 1,8 million de patients pourraient être hospitalisés, dont 300 000 pourraient être traités dans une unité de soins intensifs.

Bien d'autres pandémies beaucoup plus sévères sont possibles, porteuses de plus terribles menaces encore. Toutes démarreraient dans des régions denses et pauvres, où l'hygiène est rare et le repérage médical inexistant. Elles concerneraient sans doute - outre la grippe - la malaria et la tuberculose. Toutes ces menaces, là encore, exigeront des stratégies de survie particulières dont il sera question plus loin.


Encadré : La nuque raide du prophète - Hervé Nathan

Disons-le sans détour : Jacques Attali peut parfois nous agacer ! Qu'on songe que ce fut lui qui rédigeait, en janvier 2008, le préambule du rapport "pour la libération de la croissance française", dit justement "rapport Attali". "Le monde est emporté par la plus forte vague de croissance de l'histoire", nous disait-il, quelques mois seulement avant que la planète n'explose. En matière de prévisions économiques, chacun se trompe un jour ou l'autre ; mais Attali, lui, se veut prescripteur. Suivez le guide, affirmait-il, pour que la France accroche enfin le train d'une croissance accélérée, vers un avenir radieux. Sa commission édicta donc 316 décisions que les élus de la nation devaient s'empresser d'adopter sans trop de débats. Certaines, a posteriori, font frémir. L'une d'elles consistait, par exemple, à imiter d'urgence le modèle britannique, en "harmonisant les réglementations financières et boursières avec celles applicables au Royaume-Uni". Pour punition de cette "faute", Attali fut classé par l'économiste Frédéric Lordon, à l'occasion d'un rude article du Monde diplomatique, parmi les "disqualifiés", aux côtés de l'économiste Elie Cohen et de l'essayiste Nicolas Baverez.

Aujourd'hui, le même Jacques Attali affirme que l'Occident est "épuisé", perclus de dettes, et que le monde ira de crise en crise : la bulle chinoise, le protectionnisme, l'hyperinflation, l'effondrement du dollar, la faillite des banques centrales, etc. L'auteur, qui fréquente assidûment les puissants et les intellectuels célèbres, devient un critique féroce des élites qui "ont failli à leur mission". En 2009, il rédige donc un manuel du temps de crise. On pourrait rire de ses sept "principes de survie". On aurait tort, grand tort. Car cet Attali-là, enfanté par la crise, fait désormais l'éloge de la nation, de l'action publique, voire, eh oui, de la révolution. Il appelle l'espèce humaine à prendre conscience d'elle-même, c'est-à-dire de la possibilité qu'elle disparaisse. L'utopie, qu'on croyait enterrée depuis bien longtemps, d'une nouvelle humanité constituée par "l'armée des insoumis" renaît. Pour ces pages-là, qui mettent à bas la pensée médiocre de la résignation, on a envie d'applaudir et d'oublier l'Attali du néolibéralisme. Après tout, changer d'avis, lorsque les faits le commandent, est bien preuve d'intelligence.

Las, Jacques Attali n'est pas d'accord avec notre analyse. Questionné par Marianne, il revendique une cohérence totale, d'hier à aujourd'hui. Le prophète a donc la nuque raide.

* Survivre aux crises, Fayard. Sortie le 23 octobre.
[**] "Solvabilité II", directive européenne pour l'harmonisation des pratiques de gestion des assureurs.

© 2009 Marianne. Tous droits réservés.

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1 commentaires:

Anonyme a dit…

merci pour la publication de cet article!!