lundi 16 novembre 2009

ANALYSE - M. Obama prend acte du poids politique de la Chine - Bruno Philip

Le Monde - International, mardi, 17 novembre 2009, p. 6

Comment vont évoluer les rapports entre la Chine et les Etats-Unis - qualifiés un peu hâtivement par certains de " G2 ", tant leur poids cumulé écrase le reste du monde - sous l'administration du président Obama ?

Le premier voyage en Chine du chef de l'Etat américain a été placé, longtemps avant que le président atterrisse à Shanghaï, dimanche 15 novembre, sous les auspices d'une crise financière internationale qui a permis à la Chine de se situer dans un rapport de force favorable vis-à-vis des Etats-Unis. Non seulement Pékin a " acheté " une partie de la dette américaine en se portant acquéreur d'environ 800 milliards de dollars (533 milliards d'euros) en bons du Trésor, mais la République populaire a prouvé sa capacité de poursuivre, en période de turbulences, un rythme de croissance sans équivalent sur la planète.

S'il y avait un premier bilan à tirer de la relation sino-américaine depuis l'élection de Barack Obama, il faudrait souligner que les craintes chinoises, liées à l'élection d'un président réputé plus exigeant sur les droits de l'homme, se sont avérées à ce jour infondées. Dans le discours prononcé lundi 16 novembre à Shanghaï devant quelques dizaines d'étudiants, M. Obama a bien vanté l'universalité des droits de l'homme. Mais le nouveau locataire de la Maison Blanche, ainsi que sa secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, ont fait le maximum pour éviter de froisser Pékin. M. Obama a repoussé sa première rencontre avec le dalaï-lama après son voyage en Chine et, durant son discours sur les relations transpacifiques prononcé à Tokyo au début de sa tournée asiatique, comme dans son intervention à Shanghaï, il a soigneusement évité de mentionner le Tibet, se contentant vaguement de rappeler l'importance de " respecter les religions et les cultures de tous les peuples ". Cela après avoir insisté sur le fait que l'" émergence d'une Chine prospère peut être une force pour la communauté des nations ".

Les Etats-Unis ont besoin de la Chine en période de crise financière, mais Washington a également besoin du soutien de Pékin au plan géopolitique : les discussions qu'aura dans la capitale chinoise M. Obama avec le président Hu Jintao porteront sur la Corée du Nord, l'Iran et l'Afghanistan, pays avec lequel la Chine partage une frontière courte mais stratégique.

Même si le président américain a déjà fait savoir qu'il n'oubliera pas de mentionner les droits de l'homme devant ses hôtes chinois, il est clair que le dossier des libertés sera largement relégué au second plan. Le sinologue Richard Baum, professeur à l'université de Los Angelès résume ainsi la problématique actuelle de la relation sino-américaine : " Le fait que les démocrates contrôlent la Maison Blanche et le Congrès les poussent à adopter un profil plus bas à l'égard de la Chine et à les rendre plus modérés dans leurs critiques à propos des droits de l'homme. En ces temps de périls financiers mutuels, aucune des deux parties ne peut s'offrir le luxe d'une confrontation gratuite. "

En outre, le fait que le nouveau président de Taïwan, Ma Ying-jeou, élu en 2008, ait contribué à décrisper la relation avec la Chine populaire a permis de relativiser l'importance d'un des principaux points de contentieux du rapport entre Pékin et Washington. L'heure n'est donc plus à l'" endiguement " de la Chine, mais à une approche pragmatique pour assurer " la prospérité et la paix " dans le monde: les expressions sont de Barack Obama dans son discours de Shanghaï.

Les deux pays sont certes encore loin de jouer dans la même division. En dépit de sa foudroyante percée, l'économie chinoise ne représente pas même le tiers de celle des Etats-Unis. Le revenu par tête dans l'empire du Milieu équivaut à 10 % de celui de l'Américain moyen. Son budget militaire est six fois inférieur à celui des Américains. Mais elle aura vendu cette année une quinzaine de millions de véhicules et a accumulé les plus grandes réserves de change mondiales.

Bruno Philip

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